Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/397

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si l’on s’en tenait à ces premières observations, les combattans italiens, partis en guerre plus tard que leurs adversaires ou leurs émules des autres armées européennes, auraient obéi comme eux à la force de cet instinct qu’un de leurs hommes d’Etat a ennobli du nom d’ « égoïsme sacré. » C’est pourtant une impression toute différente qui se dégage de leurs témoignages, si on sait les choisir et qu’on les regarde de plus près. Ce qui en fait l’originalité, c’est au contraire leur caractère « altruiste, » le souffle de solidarité européenne qui les traverse, la place qu’y occupe l’expression de sentimens désintéressés de haine ou de sympathie pour les autres peuples belligérans. Faut-il en chercher la raison dans la longueur d’une veillée des armes au cours de laquelle ils ont eu le temps de se passionner pour les péripéties du drame dont ils étaient les spectateurs forcés ? Leur tournure d’esprit se rattache sans doute à des causes plus profondes et s’explique aussi par deux traits caractéristiques de l’âme italienne à travers les âges : d’une part, un idéalisme généreux par lequel elle s’est toujours enthousiasmée pour les nobles causes, et d’autre part un cosmopolitisme moral qui lui a fait toujours prendre intérêt aux grands débats de la politique internationale. De ces deux sentimens, le premier a inspiré l’épopée du Risorgimento, à laquelle il a donné sa poésie, et s’est incarné dans le geste des deux Garibaldi venant offrir, en 1870 et en 1914, leur épée à la France envahie. Le second, héritage des traditions d’universalisme léguées par l’Empire romain et entretenues par la Papauté, a fait longtemps le malheur de l’Italie en la mêlant aux querelles des nations voisines et en leur fournissant ainsi une occasion d’intervenir dans ses destinées. Il a survécu à l’unité sous la forme d’une curiosité toujours en éveil pour les choses du dehors et se traduit dans la pratique par l’impossibilité d’assister avec indifférence aux violations de ce droit public dont la Rome antique a représenté la plus éclatante personnification.

Il ne faut donc pas s’étonner si la pensée des combattans italiens s’élance souvent, même en pleine guerre, au-delà du cercle étroit de leurs intérêts nationaux et de leurs préoccupations militaires. De cet état d’esprit les meilleurs d’entre eux nous apportent d’irrécusables témoignages. C’est le lieutenant territorial Begey, écrivant à sa famille lors de l’offensive de Verdun : « Nos petites misères ne représentent qu’un incident