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s’inclinant très fort. L’ordre de succession des couches est si bien reproduit, les courbes d’affleurement de chacune d’elles sont si continues, leur épaisseur s’y révèle si constante que MM. Potier et de Lapparent ont pu conclure en 1877 : « Si, en un point quelconque, à terre ou sous l’eau, on a reconnu le banc qui constitue la surface, on connaît, comme si on y avait creusé un puits, la série des bancs dont est formé le terrain dans ses profondeurs… Les sondages superficiels du fond de la mer suffisent donc pour déterminer la position des couches en chacun des points d’où la sonde a apporté des échantillons. Ces points sont très nombreux, et les espaces sur lesquels ils manquent complètement sont trop peu étendus pour qu’un accident ou une ondulation de quelque importance ait pu nous échapper. »

La Société française a voulu aller plus loin ; sous la conduite de son éminent et regretté directeur des travaux, Ludovic Breton, elle a fait un essai direct de pénétration sous-marine dans la couche de craie qui doit donner asile au tunnel. À cette fin, elle a creusé à Sangatte, sur le rivage, un puits d’une profondeur atteignant 60 mètres au-dessous du niveau de la mer, et, du fond de ce puits, elle a poussé une galerie qui s’est avancée jusqu’à 1 840 mètres sous le détroit. Le puits a traversé d’abord une couche aquifère, ensuite il a pénétré dans la couche de craie grise imperméable et c’est de la partie inférieure de cette couche qu’a été lancée la galerie sous-marine en remontant. Cette galerie a été maintenue très aisément dans la dite couche et, le 26 février 1883, elle recevait la visite du Conseil d’administration du chemin de fer du Nord et des membres de la Société française du tunnel.

M. Breton note dans ses Souvenirs : « Au départ du petit train, composé de six wagonnets, qui nous entraînait vers le fond de la galerie, j’ai reçu une pluie de félicitations. Le baron Alphonse de Rothschild m’a dit : « J’ai passé une bien belle journée, j’étais loin de m’attendre à ce que j’ai vu ; si le tunnel ne se fait pas, je ne regretterai pas les dépenses faites, car elles auront servi à de belles études ; espérons, monsieur Breton, que nous continuerons. En attendant, je vous félicite sincèrement. »

De l’autre côté du détroit, les travaux entrepris par la Société anglaise n’ont pas eu moins de succès ; vers la fin de 1882, il y avait, au pied de la falaise de Shakspeare-Cliff, une