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la fumée des pipes et le brouillard des théories. On faisait un massacre des réputations établies et des situations acquises, on découvrait des génies incompris et des gloires maudites. On se retrouvait sous les galeries de l’Odéon, à feuilleter les livres nouveaux dans l’âpre et perpétuel courant d’air de ce salon de lecture en plein vent. Même, on se réunissait dans des bureaux de rédaction. C’était l’époque où naissaient et mouraient, avec les feuilles de l’année, des publications d’avant-garde à l’existence éphémère et tapageuse. Edouard Rod se plaisait à raconter comment, certain jour, pour sauver l’honneur, il paya de ses propres deniers un rédacteur qui avait eu la naïveté de se présenter à la caisse de la Revue contemporaine. Une telle manière d’équilibrer le budget présage de promptes catastrophes. Ce pullulement de petites revues est caractéristique du moment littéraire d’alors. L’une des plus célèbres et des plus bruyantes fut la Revue wagnérienne, fondée en 1885 par Édouard Dujardin. Wyzewa y rencontrait L. de Fourcaud, J.-K. Huysmans, Catulle Mendès, etc. Il en fut un des rédacteurs les plus féconds, les plus passionnés et, cela va sans dire, les plus intelligens. En un style, que des mièvreries et incorrections voulues n’arrivent pas à rendre absolument baroque, il commente éperdument l’œuvre de Wagner, d’où il dégage non pas seulement une conception nouvelle de la musique, mais une sorte d’esthétique universelle. Car il y a, aux yeux de ces néophytes, une littérature, une peinture, une sociologie et jusqu’à une religion wagnérienne. Cet art wagnérien est celui de Verlaine, de Jules Laforgue, de Villiers de l’Isle-Adam, et tout particulièrement celui de Mallarmé de qui Wyzewa s’est institué l’intrépide et imperturbable exégète. Il se fait fort de comprendre les plus obscurs de ses poèmes et de les expliquer mot par mot. Il est celui qui comprend Mallarmé et tout Mallarmé ! Parmi les peintres, au Salon de 1886, Puvis de Chavannes, Besnard, Willette, Whistler, et, hors du Salon, Monet, Degas, Cazin. Parmi les musiciens, en dehors de Wagner, seuls Sébastien Bach et Beethoven Ainsi Wyzewa se situe exactement parmi les premiers pèlerins de Bayreuth, les habitués des mardis de Mallarmé, les compagnons de Villiers de l’Isle-Adam et de Moréas, les tenans des écoles décadente et symboliste.

Cette fièvre de nouveauté et d’excentricité ne dura qu’un temps. Wyzewa était trop largement instruit, et il y avait en