de mépris, je suis sentimental, expansif, porté à l’exagération.
De métier, un musicien. » Représentons-nous donc un être
extraordinairement impressionnable et sensible, tout nerfs et
tout cœur, égoïste, tendre, inconsidéré, charmant, et totalement
impropre à la pratique de l’existence. La règle, la discipline,
l’effort continu, lui sont insupportables. Il lui faut l’imprévu du
caprice et l’imprécis des longues rêveries. De sa Pologne natale,
où il a été « élevé par ses deux mères dans une atmosphère
d’isolement aristocratique, » transplanté dans un village français
pour y vivre avec des rustres, il se considère comme un prince
en exil et s’habitue à vivre une existence imaginaire faite de
souvenirs, de regrets et de vagues espoirs. C’est là qu’il se
réfugie pour échapper aux souffrances et aux humiliations de la
réalité quotidienne. De plus en plus, il se fait un tour d’esprit
chimérique et romanesque. — Cependant, il trouve auprès de
lui, d’un côté, son père et les maîtres de son collège. Son père,
bizarre et autoritaire, le traite avec une sorte de mépris : « Un
songe-creux, un rêvasseur, quelque chose comme un poète, tel
je suis toujours apparu à la tendre, mais inflexible critique de
mon père : un malheureux garçon qui, avec certaines qualités,
mais d’un ordre inutile, échouerait toujours, fatalement, à se
frayer un chemin dans le monde. » Ses maîtres, haineux et
vulgaires, l’accablent de leur despotisme. De l'autre côté, deux
femmes ignorantes et aimantes, simples d’esprit et riches de
cœur, qui sont toute sa consolation et toute sa joie. Alors, peu à
peu, cette conception se forme dans son esprit que deux
puissances se partagent le monde : l’une est la Raison, d’où
procèdent la science, les principes absolus, les affirmations
catégoriques, dure, austère, inflexible, et qui engendre beaucoup
de maux ; l’autre est le Sentiment d’où procèdent l’art et la
poésie, tout ce qui console, berce, enchante la pauvre
humanité, et lui fait oublier la souffrance de vivre.
Ses études terminées, Wyzewa fut vaguement professeur de philosophie ; puis il se jeta en pleine bataille littéraire. Est-il besoin de dire que la place était toute marquée pour ce bohème parmi les bohèmes de la littérature ? Il fut de ceux qui passent de longues heures affalés sur les banquettes, dans les cafés du quartier Latin, à discuter d’art et de littérature, dans