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si par hasard quelques-unes se montrent encore au soir tombant, ce n’est plus comme autrefois à visage découvert et dans l’éclat de leur toilette, mais toutes empaquetées de l’odieuse serviette-éponge, et telles qu’on les voit dans la rue.

Mon arrivée sur le toit ne dérangera donc personne. C’est du moins ce que je me dis, tout en sentant très bien l’inconvenance de ma conduite, et que je n’ai pas là une excuse. Et je monte, rempli de remords ; et je n’ai pas la courtoisie de sacrifier à ces captives l’agrément de respirer l’air du soir… Mais, combien nous devons leur apparaître odieux à tous ces gens d’Islam, et gênans, et insupportables, même quand notre curiosité n’est faite que de sympathie et du désir de comprendre !

Là-haut, tout est blancheur apaisée, laiteux, doux au regard. Un ciel de lumière et de brume, qui rappelle plutôt la Bretagne que la Méditerranée, confond les mille petits murs qui séparent les terrasses dans la même pâleur argentée. Déjà, les plus lointaines ne sont plus que des ombres, des vapeurs dans le ciel blanc. De loin en loin, dans ce désert de neige, quelque chose de vert, les dernières branches d’un laurier surgi du mystère d’une cour ; une épaisse ombre noire, encadrée par deux colonnes et une ogive ajourée ; un feston de tuiles vertes que supporte un linteau de bois ; les tours rougeâtres des mosquées, où flotte un drapeau blanc presque invisible à cette heure ; et, çà et là, d’énormes cubes blancs, posés sur ces blancheurs comme de nouvelles maisons entassées sur les autres, et qui donnent, j’imagine, une assez juste idée de ces riches demeures de Tyr ou de Sidon, sur lesquelles on montait, le soir, faire l’invocation à la lune.

Au bord de ces choses de rêve, inconsistantes et ouatées, la masse puissante, inattendue, de la Kasbah des Oudayas, et sa rouge porte géante, qui retient, sous son arc en forme de fer à cheval, toute l’ombre de la nuit qui vient. Derrière, la mer n’est plus qu’un sentiment, un bruit, une fraîcheur qu’on sent sur son visage, une ligne plus sombre du ciel, un peu d’écume qui miroite, s’éteint et se rallume sur la grève du cimetière de Salé. Et de l’autre côté, dans les terres, au-delà de la Tour Hassan, immatérielle dans le ciel parmi les vapeurs du fleuve, déjà s’est installée la grande solitude du crépuscule angoissant.

Pas une femme sur ce désert aérien. Si, pourtant. Pas très