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à Dieu ! ) sa traditionnelle vie musulmane, et les remparts tout flamboyans de la mystérieuse Chellah. Ces masses blanches, çà et là dispersées dans les vergers, ces jardins pleins de fleurs, ces buissons de bougainvilliers, ces haies de géraniums et de liserons bleus, ces maisons de bois provisoires, ces légers bungalows qui ne sont là que pour un jour, ces cabanes de mercantis, bâties avec deux planches au bord de sentes poussiéreuses, ce palais du sultan dans une campagne déserte, ces avenues déjà tracées, mais encore sans maisons, et ces maisons sans avenues, ce cabaret plein de soldats auprès du four d’un potier qui travaille aujourd’hui encore comme on travaillait à Carthage, c’est l’Alexandrie nouvelle. Une volonté ferme, et, chose peut-être encore plus rare, un juste sentiment de la beauté musulmane et de la nôtre propre, s’emploie à nous épargner ici le spectacle des laideurs et des irrémédiables ruines qu’offre trop souvent l’Algérie. Nous abordons cette terre du Moghreb avec une vieille expérience, et des regrets aussi, et le ferme propos de respecter et de défendre une très noble civilisation, qu’ailleurs, mal avertis encore, nous avons brutalisée. Puissent ces dispositions sages résister à des façons plus brutales, à des égoïsmes grossiers ! Puissions-nous, longtemps encore, ne pas déranger un seul pli au linceul de chaux vive qui couvre la blanche Rabat, et étendre jusqu’à ses maisons le respect que nous entendons garder pour ses coutumes, ses institutions, son âme !

Demain, la nouvelle ville française couvrira le vaste espace que nos architectes lui ont réservé sur le papier. Ses maisons, ses rues, ses mœurs viendront battre les murs de la silencieuse Chellah. Pour des années ou pour des siècles ? semblent se demander avec un air de sphinx les hauts murs almohades, les grands murs flamboyans de la cité disparue, qui de tout ce qui vécut, aima et combattit dans leur tragique enceinte, ne gardent plus de vivant qu’une source d’eau fraîche et quelques pierres de tombes disloquées par les figuiers.


II. — LA FANTASIA NOCTURNE

La maison que j’habite, dans la ville indigène, n’a pas de fenêtres sur le dehors. Une lourde porte à clous, avec une ferrure en forme de main de Fathma, un heurtoir pour le