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mettre la main sur le bassin houiller de la Sarre dont Napoléon avait fait commencer l’exploitation en 1810.

Comment les habitans de Sarrelouis acceptèrent-ils le sacrifice de leur nationalité ? Quelle fut leur altitude ? Quelle forme donnèrent-ils à leur protestation ? Que de larmes ! que de colères ! que de sermens de vengeance de la part des petits-fils de ces paysans lorrains dont Vauban avait fait des citadins et qui étaient si fiers de leurs remparts ! C’est à cette époque que, par protestation contre l’entrée des Prussiens dans la forteresse qu’ils n’avaient pu prendre, un certain abbé Jager composa sur sa ville natale, demeurée pucelle, un fort médiocre poème, en patois du cru, moitié français, moitié allemand, où il traduit les sentimens de tous ses compatriotes. En voici un échantillon :

… Saarlouis es en belle forteresse
On sûrement en hibsch maîtresse
Car se hat noch ihr pucelage,
Dat macht honneur on avantage,
On wenn se sich gerende’t hat
Aux Prussiens, die sen jamais salt,
So es Saarlouis doch une Pucelle
On leit sur la Saar vie’n citadelle,
Couronnet vie en Könnigin
Met batterien, Bäm on Magasin.
Et hat zwei Poorten en symétrie,
Die gesitt mer grad vis à vis,
De franzesch Poort et des Allemands
So nennt mer se communément…

Ce mélange de mots français et de mots allemands est comme l’image de la population sarrelouisienne, bilingue de langage, et tout entière française de cœur. La ville avait 7 000 habitans. Les uns s’expatrièrent : ils sont nombreux relativement, aujourd’hui encore, à Paris, à Nancy ou ailleurs, les Sarrelouisiens dont les familles prirent le dur chemin de l’exil, répétant tristement les paroles du poète latin :

Nos patriæ fines et dulcia linquimus arva ;
Nos patriam fuginius !

D’aucuns, qui s’étaient réfugiés à Metz et à Strasbourg, en furent réduits, poursuivis par la Destinée, à un second exil, en 1871. Il en est qui partirent pour l’Amérique et s’installèrent