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parler hardiment et souvent sur toutes choses, pour vaincre la difficulté extrême de la tribune et conquérir l’improvisation. » Trois ans après, il est satisfait. Il a conscience d’avoir atteint « son maximum en fait de parole » et d’être maintenant « prêt à répondre à qui que ce soit. » Il écrit à Virieu : « J’ai confondu d’étonnement les avocats, députés et pairs, avec qui j’ai eu à lutter. Cela m’amuse comme un écolier qui apprend une langue ; il s’aperçoit tout à coup qu’il la sait à peu près, après avoir longtemps cru que ses progrès étaient nuls. » Est-ce qu’il n’y a pas là une sorte d’ingénuité charmante ? une étrange humilité dans l’orgueil ?… Avec tout cela, que veut-il ?

Son ambition n’est assurément pas mesquine. Aucune âme plus haute n’a été plus intacte et préservée des convoitises médiocres. Lamartine ! Et l’on rougit de savoir que des pamphlétaires l’ont accusé comme un autre politicien. Il est de ceux qui ne sont pas si nombreux dans les partis et qui ont le droit d’écarter la vilenie des soupçons rudement : « Non, non ! il n’est pas vrai que la politique soit de l’ambition toujours. C’est la petite, qui est de l’ambition ; la grande est du dévouement. Je ne conçois que la grande. Celle-là est patiente, comme l’idée qui la fait agir ! » Nous savons bien que Lamartine a mérité cet hommage. Seulement, s’il faut l’avouer, nous devinons qu’il se dévoue, et nous ne voyons guère l’objet de son dévouement ; nous ne voyons guère « l’idée » qui le fait agir. Il ne la possédait pas, son idée, quand il a commencé d’être un orateur. A quel moment l’a-t-il possédée ? La possédait-il enfin, parfaitement nette et avec l’assurance de l’efficacité la meilleure, à l’époque de ses plus glorieux triomphes, quand ses discours sont une étonnante musique et sont une dialectique merveilleuse qui lui amène toutes les âmes, les plus délicates et les moins fines, le jour par exemple de son chef-d’œuvre, ce discours relatif au retour des cendres impériales, où il ne réclame pas et ne refuse pas la loi proposée, où il hésite et montre plus d’ardeur entraînante que s’il n’hésitait pas, où il accomplit ce tour de force d’être sublime avec une opinion des plus embarrassées ? Possédait-il enfin son idée parfaitement nette, à l’heure qu’il devint, pour peu de temps, mais pour un temps, l’homme de qui dépend le sort d’un pays, le maître d’une révolution, le dictateur de la sagesse contraignant la folie ? Certes, il est, au balcon de l’Hôtel de Ville, un héros sans défaillance : et il s’impose avec génie. Mais, de ce déchaînement qu’il contient, qu’avait-il prévu ? et, de cette absurdité qu’il apaise, n’a-t-il rien favorisé ? Le