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de travailler ; et il ne daigne pas travailler. Les dieux l’ont dispensé de nul effort. Et lui-même n’oserait pas toucher à ce don qu’il a reçu des dieux. Il est comme une harpe éolienne, docile aux vents célestes. Voilà l’image que nous avons de lui, et qui n’est pas absolument fausse. Mais, pour devenir un orateur, au Parlement de son pays, il a beaucoup travaillé.

Son premier discours est de ses trente-huit ans. Il avait voyagé ; il arrivait de Florence et, à Saint-Point, l’automne de l’année 1828, ses compatriotes l’accueillaient avec cérémonie. « Arrivés au château, j’ai répondu par une harangue où j’ai prêché Dieu, le Roi et les honnêtes gens… » Il ajoute, avec modestie : « J’ai arrosé mon éloquence de deux tonneaux de vin ; puis un déjeuner de cent soixante couverts. La cérémonie n’a fini qu’avec le jour. Rien n’était commandé ni inspiré, tout spontané. » Charmant succès, que d’improviser un déjeuner de cent soixante couverts ! Il était plus facile d’improviser la louange de Dieu, du Roi et des honnêtes gens : Lamartine, avec raison, n’insiste pas. L’année suivante, l’Académie de Mâcon le fête, le prie de parler. Il se lève : on l’applaudit sans retard, on l’applaudit encore après qu’il a dit d’aimables choses joliment. Ce sont les premiers débuts oratoires de Lamartine. Est-ce alors qu’il a deviné son éloquence et commencé de désirer la tribune ?… Il se présente aux élections législatives en 1831. Mais il n’est point élu. Sa campagne électorale, ce sont, plutôt que lui, ses amis et partisans qui l’ont faite. D’ailleurs, il n’y avait que quatre cent soixante-treize électeurs inscrits : M. Barthou note que, dans ces cas-là, les visites valent mieux que les discours. Lamartine, en somme, ne s’est point essayé. Cependant, il ne doute pas de sa vocation : « J’influerai par la parole sur le gouvernement de mon pays… Les hommes de l’antiquité nous donnent l’exemple. Ils avaient plusieurs génies. Ce que je serai, d’autres l’ont été avant moi. Il n’est besoin que de résolution. »

Cette vocation d’orateur, la voici : « M. de Lamartine est grand, beau et svelte. Il a toujours l’air de s’élancer. Son pied ferme et léger à la fois se pose sans appuyer et laisse une noble empreinte. Sa main est une main d’artiste et de gentilhomme, merveilleusement faite pour tenir une plume ou une épée, pour frapper le marbre d’une tribune. Il est familier et éloquent, négligé et lyrique. Oh ne pouvait être insensible soit à l’expression de sa figure fine et distinguée, soit à la sonorité inimitable de sa voix de poitrine. Ses cheveux châtains à peine argentés surmontent son front où réside la sérénité.