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au cours du siècle dernier. Nul doute qu’au lendemain de la guerre un appel très puissant ne soit déterminé par le vide immense et douloureux qui se fait chez nous. L’ouvrier espagnol a des défauts et beaucoup de qualités : il ne redoute pas les besognes grossières et pénibles, il s’adapte à notre climat, à nos habitudes ; il se fixe volontiers sur le sol et facilement sa race se fond dans la nôtre. Sur les listes électorales les noms d’origine espagnole sont nombreux. Dans un domaine de sept métairies il y a six familles espagnoles. Mon voisin, le sergent C…, a reçu la médaille militaire, sans être blessé, pour sa belle conduite à la Marne : il y a trente ans, son père et sa mère passaient les Pyrénées pieds nus, aujourd’hui propriétaires d’une maison avec cinq hectares autour. Ces colonies auraient pu devenir des foyers d’attraction et de sympathie aux jours difficiles. Les avons-nous toujours traitées comme il convenait, avec un sens vif et pratique des réalités ? Il n’y a pas longtemps que la plupart des bureaux de bienfaisance refusaient d’inscrire sur leurs listes les vieux ouvriers espagnols, et pas un bourgeois, dont sans eux la vigne ne serait ni plantée ni travaillée, ne sait parler leur langue. L’Espagnol, toujours fier, même sous les haillons, est sensible à l’hommage qu’on lui rend quand on parle sa langue, et vraiment, à qui sait le français, le patois, voire un peu de latin, parler espagnol serait chose facile.

En somme, étrangère ou française, cette main-d’œuvre d’occasion se montre très inégale, incertaine, mobile, parfois mauvaise et mal intentionnée : si le chef de chantier est une femme, la difficulté n’en est que plus délicate et plus pénible.


Mais d’autres auxiliaires se sont présentés d’une valeur infiniment meilleure. La terre a eu ses volontaires. Les ouvriers de métier, comme on les appelle au village, maçons, charpentiers, menuisiers, forgerons, tonneliers, ont trouvé des heures et des journées pour répondre aux appels qui leur étaient adressés. Plus d’un reprenait avec plaisir le travail que dans son enfance il avait pratiqué. Un maître maçon, avec sa petite équipe d’ouvriers espagnols, suivi du serrurier et du charpentier, s’est porté partout où le travail restait en souffrance. Et, comme on félicitait ces braves gens, ils répondirent