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décida qu’elle ne partirait pas. Certes les motifs furent complexes et divers. Il y eut l’appui moral et matériel du maître, des avantages, des facilités, la commodité de la maison, les habitudes, l’indépendance, la peur du vague danger de l’inconnu, auquel est si sensible l’instinct de la mère quand « les petits » sont très jeunes. Mais d’autres forces jouèrent : quelque chose lui disait de rester, sans doute le foyer où il s’asseyait, le seuil de la porte où il l’avait embrassée en pleurant, les grandes vaches qu’il avait dressées, la jeune vigne qu’il avait plantée, mille autres objets où s’accrochait la tendresse de son cœur meurtri. Des voix lui parlaient, lointaines, confuses, pour lui montrer, dans le cadre de sa vie heureuse, de la vie vécue à deux, une continuité de douce protection.

Elle est donc restée « dans le train de la métairie, » avec ses deux petits qui, du matin au soir, s’accrochent à ses jupons. Allaire très simple, si l’on, veut, à solution banale, sur laquelle chacun peut dire son avis et, d’ailleurs, ne s’en prive guère, approuvée chez le boulanger, blâmée chez le forgeron ; affaire délicate et fine, si l’on descend aux mouvemens de l’âme profonde d’où la décision est sans doute partie. On la veut seulement voir ici, cette décision, par un autre côté, très représentatif, pour la belle et pleine signification qui s’en dégage.

Cette femme a fait, sans s’en douter, ce qu’en ce moment les Français de l’arrière peuvent faire de mieux à la campagne pour servir le pays, et qui est de maintenir. Rien ne vaut davantage pour le présent et pour l’avenir. Elle a maintenu deux choses dont la ruine serait une perte effrayante pour la fortune de la France et un dommage moral d’une portée incalculable.


I. — L’EFFORT DE CHAQUE JOUR

Il faut maintenir la culture de la terre. C’est la première et essentielle partie du devoir paysan. Il faut maintenir la moisson sur le champ, le troupeau dans l’étable, les grappes gonflées de jus sous le verdoyant feuillage des vignes. Ce sont les trois mamelles de la France, non les seules. Il y a bien d’autres cultures : fruitières, maraîchères, forestières, plus spéciales encore, se combinant de mille manières, parfois à caractère industriel, qui, par leur nombre et leur variété, font