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C’est ce théâtre, cette forme du drame lyrique que je voudrais essayer ici de faire connaître, en m’aidant des remarquables travaux d’un de nos compatriotes, M. Noël Péri[1], membre de l’Ecole française d’Extrême-Orient à Hanoï, qui a joint à ses études du drame lyrique japonais la traduction de cinq de ces drames choisis parmi les plus caractéristiques de l’imposante série de cinq cents pièces dont se compose le répertoire aujourd’hui conservé des Nô. — Le Nô, né à l’ombre des temples bouddhistes, tout imprégné de l’enseignement de Çakya-Mouni, et le plus souvent composé par les bonzes eux-mêmes, a si bien interprété et traduit les sentimens profonds, l’âme même du peuple japonais qu’aujourd’hui encore, malgré l’évolution des temps, il est demeuré l’expression fidèle et favorite dans laquelle le Japon se plaît à se reconnaître. Dans les fêtes qui, au mois de novembre 1915, ont célébré au palais de Tokyo le couronnement de l’empereur Yoshihito, c’est par une représentation de Nô que s’est achevée l’auguste cérémonie du sacre. C’est dans la représentation ou la lecture de Nô que le Japonais se retrempe, comme à l’une de ses sources les plus pures. Il retrouve dans ce vieux théâtre, avec ses plus belles croyances et légendes, l’histoire de sa race, l’image ou l’inspiration de ses vertus, la poésie de son passé, l’éternelle leçon de chevalerie et d’héroïsme à laquelle il a toujours obéi. Notre grand et fidèle allié de la présente guerre pensera avec nous que ce n’est pas nous éloigner ou nous distraire des émotions et des devoirs de l’heure actuelle, que de chercher et de voir réapparaître dans quelques-unes des plus belles œuvres de sa littérature dramatique la lignée des ancêtres dont il est le si digne descendant.-


I

Le Nô est, comme la tragédie grecque et le « Mystère » français du moyen âge, ne au temple ou dans les cloîtres, et de la même façon. Il fut tout d’abord le développement et comme l’annexe des chants, danses et chœurs qui accompagnaient la célébration des cérémonies religieuses. À ces chants, danses et chœurs primitifs, destinés à célébrer les dieux, la fondation des

  1. M. Noël Péri, « Études sur le drame lyrique japonais (Nô), » publiées dans le Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient (d’avril 1909 à décembre 1915.