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des incertitudes, des émotions, pendant des semaines et des semaines, peut-être pendant plusieurs mois. Ne retombons pas dans les fautes ou dans les erreurs d’un récent passé. Ne nous élançons pas trop haut et ne nous lassons pas trop tôt. Vaincre, dans une bataille de durée, est naturellement une affaire d’endurance. Verdun et l’Aisne ont démontré que nous avions cette vertu, ou que nous l’avons acquise, et que nous sommes capables de la conserver. Mais mesurons et bornons nos desseins, sinon nos désirs ; réglons sur le possible sinon nos ambitions, nos satisfactions. De la bataille qui commence, et sur le caractère de laquelle il importe de ne pas se tromper, n’attendons pas directement, immédiatement, de trop grands résultats territoriaux. Là, dans ce décor historique, sur ce sol humide et bourbeux, sur cette espèce de chaussée ou de digue à peine émergente, comme sur une planche jetée au-dessus des marécages, va être vidée, en champ clos, la querelle, depuis longtemps fatale, de l’Allemagne et de l’Angleterre. C’est là qu’avec les Belges et nous comme seconds, « la misérable petite armée anglaise, » que ce grossier Allemand d’Erzberger voulait jadis faire prendre tout entière par un vieux général prussien décrépit, hissé sur un cheval fourbu, pour l’exhiber, à titre de curiosité, dans les cirques, cette petite armée, devenue une nation en armes, — et quelle nation, qu’alimentent les ressources de la moitié de l’univers ! — a appelé en duel la colossale armée de l’Empire, grossie de toutes les classes qu’elle a drainées jusqu’aux raclures et épluchures, encadrée par ses plus vieilles bandes, commandée par ses chefs les plus réputés.

Déjà, dans la période préparatoire et dans la première phase de la bataille même, l’Allemagne paraît être dominée. Nos alliés et nous, lui opposons cinq pièces de canon pour une ; ses feux sont éteints, ses avions descendus, ses yeux crevés, ses réseaux barbelés détruits, ses repaires éventrés, toutes ses malfaisantes et maudites inventions,, ses flammes et ses fumées d’enfer retournées contre elle, à son tour empoisonnée par ses odeurs, tuée par sa propre pestilence. Elle n’a pas répugné à faire de toutes les sciences une encyclopédie du meurtre ; en invoquant, à l’aide de sa perfidie et de sa brutalité, une chimie dévastatrice, assassine et incendiaire, elle nous a forcés, pour nous défendre, à convenir, plus de cent ans après la Révolution française, que la République, elle aussi, peut avoir besoin de chimistes. L’Allemagne a voulu faire la guerre d’usure, voir qui frapperait le plus fort, qui supporterait le plus aisément. La voilà accrochée au croc qu’elle a elle-même tendu. Lorsqu’elle sortira de