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se réduisent si souvent à l’occupation ou à l’abandon momentané d’un bout de tranchée derrière laquelle il y a des kilomètres de tranchées, que ce mince avantage et ce mince désavantage ne peuvent pas être l’enjeu d’une telle partie, le prix de tels sacrifices. Ils l’ont été, tant qu’il a été permis de croire qu’ils seraient décisifs, en août 1914, dans la guerre de mouvement ; ils ne le sont plus, et le sont de moins en moins, dans la guerre d’usure. Le véritable enjeu, depuis que la guerre s’est fixée et figée sur l’Aisne, après la Marne, est moins militaire que moral. C’est-à-dire que Hindenburg, chaque fois que nous l’avons attaqué ou repoussé, s’opiniâtre en ses ripostes, non pas en réalité pour reprendre le petit carré de sol français que nous lui avons arraché, et dont la possession ne lui promet, il le sait, ni Paris, ni Calais, ni même Verdun, mais pour garder à ses soldats la foi dans leur supériorité, et à l’Allemagne sa foi dans la supériorité de ses soldats, pour maintenir ou relever « le moral » allemand, à l’armée et dans le pays, au front et à l’arrière, pour nourrir l’orgueil allemand et la volonté allemande des communiqués de Ludendorff. Du même coup, il se propose d’abaisser, de faire fléchir, de briser notre moral à nous, et il ne s’en cache pas : il estime que « la force de résistance de la population civile de l’Entente est très inférieure à sa puissance militaire. « De là, le redoublement d’activité, l’emploi intensif de toute ruse et de toute astuce germaniques, l’espèce de frénésie d’intrigue, dont l’Empire, en se débattant sous l’étreinte, donne le scandaleux spectacle. Mais le moral d’un peuple ne se redresse pas ou ne se soutient pas longtemps par des procédés immoraux, ni même simplement amoraux. Le succès en est bref, et, parce qu’il ne dure pas, il prépare toujours, pour peu que l’on attende, la revanche de la morale. On ne l’offense, en fin de compte, que sans profit et à son propre détriment.

L’Allemagne a déjà commencé à en faire l’expérience, au dedans et au dehors. Au dehors, premièrement : « Tout Allemand, avouait la Gazette de Voss du 26 juin, est considéré en Norvège comme un espion, comme un être méprisable. » Sentant, malgré son inconscience et son infatuation, qu’elle se noie dans ce « mépris, » l’Allemagne a recouru à l’expédient ordinaire : « Ce n’est pas moi ! C’est lui ! » Ni ses hommes d’État, ni sa presse, n’en sont, après trois ans de mensonge, à une impudence près. — Grimm était un agent de l’Entente, qui a attiré dans un piège le candide Hoffmann. En sa qualité de « Zimmerwaldien, » il ne pouvait travailler pour l’Allemagne, puisqu’il est avéré que c’est l’Entente qui avait monté le coup de Zimmerwald.