Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/478

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ingéniée à lui créer une légende, et elle l’a tenu pour tabou, fétichisé, presque divinisé. De son côté, l’Italie, avec la vigueur et la subtilité de son sens politique, s’est bien gardée de toucher au commandement, bien qu’un régime monarchique ait autre part son point fixe et donne un gouvernement de guerre plus facilement que ne le fait un régime démocratique. Entré au comité secret, où il a été, lui aussi, ballotté toute une semaine, en un état voisin de la dissolution, le ministère Boselli en est sorti comme un gouvernement vivant, avec un commandement renforcé. Avant toute autre considération, le président du Conseil italien a placé celle-ci, car, à Rome également, la « politique militaire » avait été portée dans le Comité secret : « Le Gouvernement entend assumer, a-t-il dit, toute la responsabilité qui lui incombe, parce que le Gouvernement veut maintenir au commandement suprême l’homme qui a su conduire glorieusement la guerre. Le pays peut être certain que rien ne peut ébranler la confiance que le Gouvernement et le pays ont mise dans le général Cadorna. »

Au surplus, il ne semble pas que le général Cadorna fût directement, ostensiblement visé. Autant qu’on peut de loin la débrouiller, l’affaire était montée et dirigée, sous des prétextes différens, voire opposés, d’une part contre M. Sonnino, ministre des Affaires étrangères, et, de l’autre, contre le ministre de l’Intérieur, M. Orlando. Les uns blâmaient en M. Sonnino, sinon sa témérité (une hardiesse avisée n’est pas téméraire), du moins la certitude hautaine, l’intransigeante rectitude de sa politique ; les autres, en M. Orlando, la timidité, le flottement, la mollesse de la sienne. Les adversaires, comme les motifs d’opposition, se croisaient : contre M. Sonnino, c’étaient les neutralistes, les socialistes, les « fatigués » des salons et de la rue, les gagne-petit inconsolés du parecchio ; contre M. Orlando, les nationalistes, les interventionnistes de droite et de gauche. M. Sonnino, à coup sûr, ne demandait rien, ne désirait rien, ne se prêtait à aucune combinaison, et, dans son poste, attaché seulement à son œuvre, ne briguait aucun autre poste. Pour M. Orlando, ses amis, et quelques-uns même de ceux qui ne le voulaient plus au ministère de l’Intérieur, le désignaient ou l’indiquaient pour la présidence du Conseil, et il n’était pas évident qu’il la repoussât.

Savant juriste, professeur éminent, orateur éloquent, M. Orlando serait parfaitement qualifié pour un rôle de premier plan, et nous ne dirons pas qu’il y songeait, mais le fait est qu’on y songeait pour lui dès la fin de 1915. On le disait alors assez tiède à l’égard, sinon de M. Salandra personnellement, du moins de son sacro egoismo. Mais