Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nouvelles, c’est sur Washington que se lève la constellation. Le pan-américanisme sera-t-il livré à lui-même ? Les liens antiques, les liens héroïques, seront-ils définitivement tranchés, et de la confédération de toutes ces nations de son sang, la nation-mère demeurera-t-elle seule volontairement absente ?

M. Lloyd George, dans un discours dont il n’y a nulle exagération à dire que c’est un des plus beaux qui aient jamais été prononcés, a clairement défini ce qu’il faut entendre par « la ligne de Hindenburg. » Elle n’est, cette ligne, ni sur l’Escaut, ni sur la Scarpe, ni sur la Somme, ni sur l’Oise, ni sur l’Aisne, ni sur la Meuse. Peut-être serait-elle au Rhin, mais sûrement elle est entre la Germanie et le monde civilisé. C’est comme la fameuse ligne, tirée d’un coup de doigt sur la sphère, par le pape Alexandre VI et qui partageait l’univers en deux moitiés, une à l’Espagne et l’autre au Portugal. De même ici ; les Allemagnes d’un côté, l’humanité de l’autre. Ce n’est pas la ligne, c’est le fossé de Hindenburg, et ce fossé est un abîme. La « démocratie allemande, « une république ou des républiques allemandes ne feraient pas qu’il n’existe plus ; des formes et des formules ne le combleraient pas. Il n’y avait pas d’Empire allemand, du type que Bismarck a créé, il n’y avait pas même de Prusse, lorsque Froissart, ayant vu, par essaims, par nuées, « s’avaler » tous ces pillards « vers Malignes, vers Brousselles, vers Nivelle et Mons-en-Hainnau, » s’écriait : « Maudits soient-ils, ce sont gens sans pitié et sans honneur, et ossi on n’en deveroit nul prendre à merci ! » Une nation ne s’évade pas de son être ; le Prussienne se libère pas. Le plus cosmopolite des socialistes minoritaires serait, au pouvoir, s’il y arrivait par un miracle que l’Allemagne ne fera point, ce que sont les Hohenzollern, qui, rois et empereurs, ont été, à travers les siècles, ce que, — de quelque surnom qu’il leur fût venu fantaisie de se décorer, l’Achille ou l’Ulysse, le Cicéron, le Nestor, — avaient été les margraves de Brandebourg, depuis le premier de la branche d’Anhalt, Albert l’Ours.


CHARLES BENOIST.


Le Directeur-Gérant,

RENÉ DOUMIC