Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Là semble s’arrêter, pour l’instant, ce qu’on appelle déjà, la « bataille de France ; » les combats qui, par intervalles, se livrent plus à l’Est, n’étant encore qu’épisodes accessoires ; et tel en est le bilan, topographiquement dressé. Soixante-dix kilomètres, ajoutés à la centaine de kilomètres, et plus, que couvre le front britannique, en font, répétons-le, un des drames les plus gigantesques de cette gigantesque guerre, et suffiraient à prouver que, pour vaste qu’il soit, le titre n’en est point usurpé, 14 000 prisonniers et 228 canons, à l’actif des Anglais, 19 000 prisonniers et plus de cent canons, chiffres provisoires, au nôtre, ce sont ensemble 33 000 hommes et 330 canons perdus, par lesquels se solde, ou du moins est en train de se liquider la retraite « géniale » de Hindenburg. Géniale ? Ah ! ici, sur cette terre consacrée par les plus grands souvenirs, et qui connut, il y a un siècle, une retraite vraiment « géniale, » à Craonne même, à la ferme Heurtebise, ne profanons pas l’épithète ! Tout de même Hindenburg n’est pas Napoléon. Qu’il l’ait étudié, et qu’il veuille l’imiter comme, lui et d’autres, ils imitent leur Frédéric, soit ; mais un Austerlitz ne se fabrique point dans les écoles. Peut-être quelques-uns de ceux qui se sont, contre toute raison, montrés surpris que nos troupes ne soient pas arrivées à Laon dans les quarante-huit heures, craignent-ils, de la part du maréchal, un arrêt subit, un retour brutal, le coup de tête du bélier. Tandis que nous pressons sur ses ailes, et que nous pesons dessus pour les briser, et que nous décrivons des cercles autour d’elles pour les paralyser et les abattre, qui sait, pensent-ils, ce qu’il médite et ce qu’il nous réserve sur notre centre ? Mais s’ils pensaient premièrement que nos généraux, à nous, pensent aussi, et que leurs moyens, dans tous les sens du mot, ne sont pas moindres ? Les Allemands avaient là dix-neuf divisions ; ils en ont, de plus, ramené douze : ils opèrent, vers Laon ou vers Saint-Quentin, une concentration énorme, on le veut bien, ou, du moins, c’est possible. Et après ? De même que les impatiens se seraient apaisés, s’ils avaient mieux connu les difficultés du terrain, de même leur inquiétude tomberait, leur vague-à-l’âme se dissiperait, s’ils savaient combien d’hommes de toutes armes et combien de pièces de tout calibre nous avons massées dans cette région. Nous ne pouvons qu’avoir confiance, et on oserait dire une confiance « joyeuse, » si tant de sang versé, tant de douleurs inévitables, ne devaient à l’avance bannir la joie de nos cœurs, pour en faire quelque chose de grave, de solennel, et comme de religieux. Mais, à nous en tenir au prestige de Hindenburg, c’est, à la vérité, une faute que de ne point assez estimer l’adversaire,