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modération prudente, que de ne pas rechercher les écrits ou les discours antérieurs de tel ou tel, de qui seuls importent les discours et les écrits d’à présent ; mais il ne peut y avoir deux actions ni deux directions ; et, pour qu’il n’y en ait qu’une, il faut que le gouvernement provisoire, tout provisoire qu’il est, soit un gouvernement, ce qu’il ne sera que s’il gouverne. La question, dont il ne servirait de rien d’essayer de taire l’angoisse, est donc aujourd’hui de savoir si le ministère du prince Lvoff voudra et pourra gouverner, de savoir si le gouvernement provisoire est un gouvernement. S’il en est ainsi, comme nous l’espérons, il ne nous en coûtera pas de reconnaître que la révolution russe aura fait d’un acier plus homogène le bloc des nations qui combattent pour la justice, le droit et la liberté; bloc que ne brisera ni la violence ni la ruse, si l’acier n’en a point une paille.

L’Allemagne se débat sous ce bloc, dans ce cercle dont on dirait, si on l’osait, qu’il se resserre en même temps qu’il s’élargit. Alors, après les poses avantageuses, après les appels du pied, et les défis au Ciel et à l’Enfer, elle fait des mines aimables. Le refuge et le rempart du libéralisme en Europe, c’est l’Empire. Le chef de chœur des souverains libéraux, c’est l’Empereur allemand, suprême Seigneur de la paix comme de la guerre, maître des bonnes et des mauvaises puissances. Il n’est arrivé malheur au tsar Nicolas II que parce qu’il ne l’a pas écouté. Bientôt ce sera lui, l’Empereur allemand, qui aura fait la révolution russe. Tant qu’on ne pouvait prévoir comment elle tournerait, ni si elle ne serait pas matée par une réaction, l’Allemagne accusait l’Angleterre de l’avoir provoquée, et elle en dénonçait perfidement l’auteur responsable, qui était l’ambassadeur britannique, sir George Buchanan. Maintenant, pour un peu, elle la revendiquerait. Le dessein est clair : il s’agirait de l’attirer dans son sillage, et de la faire servir à l’urgente nécessité allemande: la paix. Que Scheidemann et Noske, et Stresemann, et Müller (de Meiningen), et le chancelier de Bethmann-Hollweg en personne pérorent à leur gré, et que le comte Westarp et le comte Reventlow les objurguent et vitupèrent : que les uns refusent péremptoirement à la Prusse et à l’Allemagne les fausses et illusoires libertés que les autres feignent mollement de leur vouloir donner, c’est pure comédie ; ce sont compères et complices. On peut toujours dire à l’Allemagne, en lui montrant son Kaiser casqué et botté : « Médecin, guéris-toi toi-même ! » Et l’on peut en dire autant au comte Czernin, autre compère, de l’empereur Charles. autre complice. Cependant, au dehors, et par d’autres moyens de propagande, l’Allemagne travaille. On la retrouve à la besogne en