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Cet idéalisme n’est pas celui du solitaire ou du poète ; ce n’est pas quelque chose d’accidentel et de fugitif dans le monde comme un trille d’oiseau ; dans l’immense orchestre, il ne redoute pas d’être étouffé par le tonnerre des instrumens matériels ou de s’élever en strideurs et en tensions hideuses ; la strideur et la tension sont son élément.


Son activité préférée est de se frayer par la force un chemin vers la réalisation de son hégémonie :


L’expression adéquate de son âme est la bataille universelle qui seule peut contenter ses instincts. Il doit refaire le monde d’après le modèle immanent dans son esprit ; et telle est la destinée glorieuse de l’Allemagne.


La liberté naturelle est chose honteuse, un fouillis d’impulsions sensuelles et intellectuelles sans principe d’ordre. Que les Allemands, en qui ce principe d’ordre est inné, soient donc la Providence de l’humanité et les ordonnateurs du progrès ! Et si le peuple refuse l’Idée, que l’Etat l’impose. L’éducation idéale refait l’homme si bien qu’il devient incapable de vouloir ce que cette éducation n’a pas voulu. L’Etat, obéissant à sa mission idéale, doit conquérir le barbare et l’élever à la culture. Fichte l’a dit :


C’est l’Idée qui pousse le conquérant macédonien au loin. Les civilisés doivent régner et les incivilisés obéir. Ne me parlez pas des milliers de victimes qu’il sema sur sa route, de sa mort prématurée. Il a réalisé son idée. Il pouvait mourir.


Et Santayana ajoute :


La théorie transcendante d’un monde imaginaire créé par le moi et d’une volonté absolue, voilà certes d’effrayantes illusions ; mais ni plus désespérées ni plus illusoires que des systèmes que des millions d’êtres ont acceptés. C’est une religion nouvelle. Elle domine le jugement et la conduite de la nation allemande tout entière. Aucune tyrannie ne pourrait être plus absolue. Ses prophètes sont les philosophes et les historiens du siècle dernier. Ses grands-prêtres et ses pharisiens sont son gouvernement et ses professeurs ; son troupeau fidèle de croyans est la masse disciplinée de la nation : ses hérétiques sont les socialistes, ses dupes les catholiques et les libéraux qui abomineraient la foi nationale s’ils la comprenaient : elle compte aujourd’hui des millions de martyrs, et ses victimes parmi les incroyans sont