Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 38.djvu/913

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prospérité, — la beauté, le sentiment, le goût des traditions, tout ce qui donne aux jours vécus leur sens et leur couleur. Tels sont les trésors de la civilisation latine au nom desquels combattent aujourd’hui les nations alliées de l’Europe. Et c’est parce que l’âme latine place au-dessus de la réussite économique une interprétation de la vie plus large et plus belle, que toute la civilisation est suspendue à la grande décision qui sortira de cette guerre.


Et c’est parce que Giolitti, le germanophile, est traître aux traditions de sa race et de cette âme, et, patriote borné, leur préfère l’intérêt immédiat de son pays, que le peuple italien le rejette ; et c’est parce que d’Annunzio est la voix de cette âme et du sang italien que ce peuple l’accueille avec des transports :


Il parlait de la plus grande Italie, la grande, la pura Italia, senza onta, libre de toute souillure ; et tous savaient qu’il n’entendait point un agrandissement de limites. Avec noblesse, il rappela à ses concitoyens l’idéal supérieur de leur passé ; grâce à lui, ils se sentirent, non pas des trafiquans hypnotisés par leurs dangers ou leurs profits, mais des Latins, des gardiens de la civilisation.


Le poète leur révèle que les alliés « se battent non pour un gain de territoire, un accroissement de gloire, ni même l’égoïste conservation de son être, mais bien plutôt, et plus profondément, pour l’existence d’une certaine humanité. » Et devant la révélation brûlante de la destinée italienne éternelle, l’immense acclamation surgit de la Piazza, héritière du forum antique, balayant tout, passe les monts, et Bethmann-Hollweg ricane : « La voix de la Piazza l’a emporté : »


On comprend bien le dédain du Chancelier pour toute expression irrégulière de l’opinion nationale, et son dégoût de voir un public inorganisé oser en pleine rue manifester des volontés et des sentimens autres que ceux que lui suggérait un gouvernement fort…

Les forces de la Piazza n’ont aucune place dans l’organisation serrée de l’Allemagne, ni aucune expression politique possible.


Mais pour Herrick, c’est la gloire du tempérament latin de refuser la discipline imposée, à la manière teutonne, de rester sourd aux sophismes des dirigeans et des intellectuels, et de pouvoir naïvement éprouver des passions politiques désintéressées, jaillies spontanément du fond de la conscience populaire, des instincts aveugles de l’âme même de la race :