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L’Italie répétait à sa manière, à la moderne, l’antique défi jeté par ses ancêtres romains à la menace teutonne : Fuori i barbari ! — à la frontière les barbares ! — qui dormait depuis deux mille ans dans le sang de l’Italie pour jaillir à nouveau, brûlant de haine sous le fouet de la Belgique outragée, de la France envahie, de la Lusitania assassinée. Moins conscient que cet antagonisme personnel, mais non moins puissant comme force d’impulsion, se révélait l’antagonisme spirituel entre le Latin et le Germain, entre les deux visions du monde qu’imaginent le Germain et le Latin, et qu’ils tendent à perpétuer.

Que, dans une très large mesure et un sens très réel, cette convulsion du monde en guerre soit la lutte suprême entre ces deux traditions opposées de la civilisation, — une décision à intervenir entre deux formes de vie aux prises, — cela m’apparait d’une évidence à dispenser de toute discussion.


Et c’est ainsi que l’Italie doit s’allier avec ceux qui soutiennent au prix de leur vie l’héritage de Rome contre les prétentions de la force, — la loi, la justice, la miséricorde contre le poids mort de la force physique et matérielle.

Comment ce devoir apparaît, se précise, grandit irrésistiblement jusqu’à entraîner comme un torrent l’Italie au gouffre de la guerre et de sa destinée, Herrick le dit avec une finesse de psychologue rompu aux plus subtiles analyses morales, un art consommé de romancier habile à graduer de page en page l’intérêt haletant du récit. Rien de plus passionnant que les cinq actes tragiques de cette première partie de son livre, l’Italie : L’Italie hésite, — Le Politicien parle, — Le Poète parle, — La Piazza parle, — L’Italie se décide, qui déroulent les phases du grand drame où se débat la conscience italienne aux prises avec sa destinée. Plus encore que son amour pour l’Italie, que sa grande culture, que ses dons de romancier et d’analyste, son profond sens démocratique d’Américain, sa divination des instincts populaires guident ici Herrick à travers le dédale de ces troubles journées hésitantes de mai 1915. Toute cette première partie est une merveille de pénétration, de subtile sympathie et d’exacte analyse. Pour l’observateur superficiel, c’est l’échec de sordides marchandages et la poussée de la racaille qui entraînèrent l’Italie à la guerre : telle est l’explication des diplomates et du Chancelier allemand. Herrick ne peut accepter une interprétation à ce point basse et vulgaire, lui qui assista heure par heure au rapide développement du drame qui aboutit le 23 mai