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A mesure qu’il avance dans son récit, Johnson rencontre partout des histoires semblables, innombrables, prouvées, certaines, trop horribles pour être racontées, et son témoignage rejoint celui de Davis, de Gleason, de tous ceux qui ont vu ce que c’est que la guerre allemande. Témoignages longtemps sans efficacité, hélas ! sur l’opinion de trop de leurs concitoyens du Middle West, qu’ils n’atteignent pas, ou qui refusent d’y croire.

Et puis, c’est la vision tragique d’Arras, semblable à quelque ville maudite de Poe, désolée de cyclones d’acier et de flammes, où les portes et les volets des maisons éventrées. claquant au vent sauvage, ébranlent de frissons de terreur mystérieuse les cœurs défaillans :


Chacune de ces maisons dévastées semblait hantée par quelque crime indicible devant l’horreur duquel les criminels avaient fui, ivres d’une terreur surnaturelle.


Terrés comme des rats dans leurs trous, douze cents habitans continuaient cependant à vivre dans leurs caves, sous les ruines ; avec stupeur Johnson constate qu’ils bravent l’épouvante de ces rues hantées, que les enfans jouent sous les bombes ; et il comprend l’attachement invincible et héroïque des Français pour leur foyer.

Au spectacle sinistre d’Arras succède la vision, plus infernale encore, des tranchées de première ligne, à Blanzy, à Notre-Dame-de-Loçette, à Neuville-Saint-Vaast, à Ablain-Saint-Nazaire, où Johnson passe dans la puanteur des cadavres décomposés, sous la morsure des innombrables mouches, gorgées d’immondices innommables, jusqu’à la mer de boue jaune où fut la chapelle de Notre-Dame-de-Lorette :


Il semblait que la terre convulsée se fût ouverte pour engloutir la chapelle et se fût refermée sur elle en bouillantes vagues. Ce fut le spectacle le plus hideux que j’eusse encore vu. Ce n’était plus la terre, mais quelque chose d’inconnu et de monstrueux, — une terre devenue folle et transformée en mer, — une mer de pierres et de boue, une mer jaune et mauvaise en ébullition, soulevée de vagues tournoyantes, souillées hideusement.


Et partout la puanteur cruelle, et les paresseuses mouches bourdonnantes et collantes : et partout des bras, des jambes, des crânes découverts par les obus : il frôle en passant un genou cireux, lisse et jaune comme un abricot, qui dépasse le bord