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inexcusable ; et dans ses pages l’horreur matérielle de cet assassinat d’une immortalité demeure inscrite en traits de feu, si le sens profond et l’émotion spirituelle de cette tragédie dépassent les facultés de représentation du bon objectif que Davis braque sur la ville martyre. Parfois cependant un mot rend l’atmosphère : les habitans communiant dans le danger et l’horreur semblent recueillis comme ceux qui se tiennent devant une tombe ouverte. Mais ce n’est qu’à la longue, sous la pression irrésistible des images accumulées, que Davis pénètre parfois au-delà de la surface, et semble conscient des profondeurs de l’âme française et du sens de cette tragédie. Entre son premier recueil et le second, le progrès est net. Contre les neutres son indignation grandit :


Lorsqu’un chien enragé parcourt un village, il est du devoir de chacun de saisir de quoi l’abattre, non de s’enfermer chez soi et de conserver vis-à-vis du chien et de ceux qui l’affrontent une attitude de neutre.


En Artois, en Champagne, il voit nos poilus, nos paysans ; et leur héroïsme souriant lui révèle la France. Ces poilus, il les retrouve sur le front de Salonique, à Verdun, dans les Vosges ; et un peu de leur esprit gouailleur en face de la souffrance et de la mort passe dans ses pages.

Mais cette âme de la race, c’est surtout à Owen Johnson qu’il faut en demander la patiente étude. Comme Davis, il est romancier, plus que lui déjà préoccupé d’analyse psychologique, plus soucieux de style et de nuances, passionné plus encore pour cette France dont il scrute depuis longtemps les traits avec amour et dont il étudie maintenant avec une tendresse nouvelle l’âme profonde révélée par la crise suprême. Elle lui apparaît héroïque et familière, fraternelle et démocratique, humaine infiniment par les sympathies, les charités qui sont celles d’une grande famille réunie par un deuil et des épreuves communes. L’approche de la terre de France le trouble profondément :


Nous attendions dans l’humide brise errante cette terre de douleurs dissimulée encore par le noir rideau de la nuit. Nous nous demandions quelle réalité cruelle l’écartement de ce rideau nous révélerait. Car cette France, dans le souvenir, m’apparaissait comme