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bon sens ? Y avait-on la moindre connaissance des hommes, de l’opinion publique, de l’état des esprits ? La révolution allumée, son cours ne faisait plus de doute. Mais que fût-il advenu d’un succès de la contre-révolution ? Ce n’est pas en France que personne aura le courage d’accabler Nicolas II, fidèle à sa parole et à celle de son père, à l’alliance que lui avait léguée Alexandre III. Sans doute, il n’aura pas vu que la politique intérieure détestable et insensée à laquelle il se laissait entraîner devait, dans l’esprit de ses funestes conseillers, le conduire à manquer à ses engagemens… Cela n’a pas été et cela ne pouvait pas être. Si Nicolas II a perdu son trône par faiblesse, il n’y a pas, du moins, de tache sur son nom.

Son règne, comme tant d’autres choses en ce monde, s’appellera : « J’aurais pu être… » Nicolas II aura certainement perdu la plus belle occasion qui se soit présentée de rajeunir une monarchie. Il y a quatre ans seulement, la Russie avait fêté le troisième centenaire de l’avènement des Romanof. L’Empereur n’aura pas compris cette leçon de politique et d’histoire. L’autocratie aura eu tort d’oublier ses origines. C’est par l’élection, et pour que la Russie eût un chef capable de la sauver de la menace étrangère, que Michel Romanof avait été porté au trône, Là se trouvait l’indication du rôle historique qui revenait au successeur du tsar de Moscou dans la grande crise nouvelle de la vie du peuple russe.

Il y a huit mois, essayant d’indiquer ici les courans intellectuels et politiques de la Russie en guerre, nous disions que son avenir s’ouvrait sous le signe du nationalisme. La révolution nationale du mois de mars 1917 est venue nous donner raison. Nous allons assister sans doute à une lutte entre des tendances contraires. Il se peut que l’anarchie slave, qui est ancienne, se trouve aux prises avec le patriotisme russe qui est ancien, lui aussi, mais rajeuni et retrempé. Selon toutes les apparences, c’est le nationalisme qui devra être le plus fort. Sinon, et quelle que soit la forme de son gouvernement, la Russie formerait une exception dans le monde contemporain et au milieu de peuples ardens à combattre pour leur unité, leur indépendance et leur grandeur, alors que, par sa révolution, elle vient encore de montrer comme eux sa volonté de vivre.


JAC9UES BAINVILLE.