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sûr de lui-même, sûr des mitrailleuses qu’il avait fait disposer sur les clochers des églises, sur les toits des monumens publics, Protopopof ne craignit pas de provoquer l’insurrection.

Sans doute, à la Douma, des paroles violentes, des avertissemens sévères à l’adresse de la famille impériale avaient été prononcés. Le procès de l’Impératrice et de Stürmer avait été fait. Mais pas un appel à la révolte n’était parti de l’assemblée. L’histoire rendra cette justice aux chefs libéraux qu’ils seront restés fidèles jusqu’au bout à la ligne de conduite qu’ils s’étaient fixée, qu’ils auront, jusqu’au dernier moment, essayé de sauver l’Empereur, puis, l’entêtement de l’Empereur étant invincible, de conserver au moins la dynastie des Romanof[1]. Faisant bon marché de la couronne, qui était l’enjeu de cette aventure, Protopopof mit le feu aux poudres dans un moment où l’excitation était générale. Arrestation de députés socialistes sous le prétexte de complot contre la sûreté de l’Etat, prorogation de la Douma, suspension des journaux : il aura recommencé les « Ordonnances, » mais en allant plus loin encore, car Polignac, du moins, n’avait pas de lui-même organisé l’émeute. Des signes concordans font penser que, pour être plus sûr d’avoir « sa » révolution, Protopopof l’avait attisée. Le Rousskoïe Slovo du 12/25 février a signalé ce fait qu’un « faux Milioukof » avait paru aux usines Lessner et avait convoqué les travailleurs à l’insurrection. Que des policiers « camouflés » aient été les agens de cette mise en scène peut paraître un fait extraordinaire. On en doutera moins quand on saura que la censure interdit à M. Milioukof de protester contre cette machination et de répondre par un appel au calme…

Comment des folies aussi excessives n’auraient-elles pas mal tourné pour leurs auteurs ? Les personnes qui ont approché M. Protopopof pendant ces derniers mois le peignent comme un extravagant. Assurément, cet ancien vice-président de la Douma, pour avoir passé en quelques semaines du libéralisme à la défense de la bureaucratie et à la contre-révolution policière, manquait d’équilibre. Mais y avait-il, à la Cour, plus de

  1. Notons ce témoignage emprunté à l’Outro Rossii du 14/27 février 1917 : « La Douma a rempli son devoir. Si on peut lui reprocher quelque chose, ce n’est pas d’avoir voulu envenimer le conflit, bien au contraire… Cette lenteur, cette répugnance à prononcer une parole risquée avait son bon côté. Une telle Douma ne pouvait être soupçonnée par la réaction de tendances antigouvernementales. »