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quand il repoussa l’ultimatum de l’Allemagne, la Douma se reconnut dans celle résolution. Elle avait contribué, pour une part certaine, à ce retour à la fierté. Elle le salua comme une réparation. C’est d’ailleurs le propre mot qui fut employé, à la grande séance du 8 août, par l’orateur des nationalistes, M. Balachev : « A l’heure difficile et glorieuse que nous vivons, la Russie est appelée à réparer quelques-unes de ses erreurs historiques. » Et quand M. Milioukof vint déclarer à son tour : « Nous luttons pour libérer notre patrie d’une invasion étrangère, pour libérer l’Europe et le Slavisme de l’hégémonie germanique, » il fut accueilli par des « bravos à gauche. »

Au fond, le nationalisme était la tendance dominante de cette Douma, la quatrième depuis la charte d’octobre 1905. Le mélange des idées de liberté et de nationalité s’était vu en France au XIXe siècle lorsque les libéraux combattaient à la fois la monarchie et les traités de 1815. Il s’était vu en Allemagne et en Italie où les efforts pour obtenir un régime constitutionnel s’étaient confondus avec les aspirations unitaires. On l’avait revu à Constantinople en 1908 avec les Jeunes-Turcs. Ce mouvement historique continuait, par la Russie, son tour du monde. Il suffira de rappeler les congrès « néo-slaves, » qui s’étaient tenus à plusieurs reprises durant les années qui ont précédé la guerre. Le panslavisme renaissait sous une forme nouvelle. Au lieu d’être l’héritage de la « Sainte Russie, » il se trouvait désormais associé à la doctrine politique du libéralisme. Il ne faut pas oublier, par exemple, pour comprendre les choses, que M. Milioukof aura été le premier à désigner Constantinople comme un des buts de guerre de la Russie. Le 24 mars 1916, plus de six mois avant que M. Trépof, durant son bref passage aux affaires, eût à son tour proclamé la nécessité pour l’Empire russe de dominer le Bosphore, M. Milioukof avait dit à la Douma : « Nous voulons une sortie vers la mer libre. Nous n’aurions certes pas déclaré la guerre dans l’unique dessein de réaliser ce désir ; mais, puisqu’elle est commencée, nous ne la terminerons pas sans obtenir cette sortie. Notre intérêt consiste à nous annexer les Détroits. »

C’était la vieille idée impériale trouvant de nouveaux interprètes. Quelle différence, on le voit, entre les hommes qui voulaient régénérer la Russie par la guerre et ceux qui, en 1905, avaient tenté d’exploiter les défaites de Mandchourie pour faire