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autres partis du « bloc progressiste, » renonçait pour le moment à réclamer ce « ministère responsable » qui devait être, à ses yeux, « le résultat d’une longue évolution. » Et, quant à la personne même de M. Stürmer, M. Milioukof ajoutait en propres termes, et non sans causer quelque surprise a son interlocuteur : « C’est un personnage de transition. Il n’est pas d’un réactionnarisme aussi déterminé que son prédécesseur, M. Goremykine. C’est un bureaucrate d’esprit très conservateur, mais, justement parce que bureaucrate, il est doué d’une certaine souplesse qui lui permet de s’adapter aux circonstances… »

On voit que M. Milioukof y mettait de la bonne volonté. Il n’était guère possible d’en mettre davantage. Cet esprit d’adaptation aux circonstances, pour lequel lui et ses amis faisaient crédit à M. Stürmer, il était en réalité le leur. En dehors des cercles de la Douma, j’ai entendu plus d’un libéral russe s’en plaindre. Les troupes du parti des réformes étaient, de toute évidence, restées beaucoup plus intransigeantes que les états-majors. Elles en comprenaient avec peine les sentimens et la tactique. Plus d’une fois, j’aurai entendu blâmer la « faiblesse » du bloc progressiste, quand on ne le taxait pas de trahison : tous les hommes politiques qui, à un moment donné, ont voulu « sérier les questions, » ont encouru les mêmes reproches et les mêmes colères.

Mais c’est ici, peut-être, que nous commençons à toucher du doigt une des causes de la catastrophe où s’est abîmé l’ancien régime.


La guerre était, dans son principe, une guerre populaire. Il serait à peine exagéré de dire que c’était la guerre de la Douma. Entre 1909 et 1914, entre la remise par M. de Pourtalès des deux ultimatums, dont le premier, de tous points semblable au second, avait déterminé un recul de la Russie que le patriotisme russe avait ressenti comme une humiliation, bien souvent la Douma avait exprimé le désir d’une politique étrangère plus vigoureuse. L’annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’Autriche avait laissé une profonde amertume. L’éclipsé que le prestige de la Russie avait subie en Orient avait été déplorée, critiquée à plus d’une reprise à la tribune du palais de Tauride. Aussi, lorsque l’Empereur prit la défense de la Serbie menacée, puis