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les plus perspicaces se montraient sans doute extrêmement réservés dans leurs appréciations et leurs pronostics sur l’avenir politique prochain de la Russie. C’était le cas, en particulier, à l’ambassade du Japon, une des plus nombreuses, des plus actives, des mieux renseignées. Sur l’évolution de l’Empire russe, il me sembla que le baron Motono, de qui les appréciations sur les événemens de la guerre s’étaient toujours trouvées d’une justesse extraordinaire, semblait vouloir suspendre son jugement. Aux plus prudens, néanmoins, une catastrophe n’apparaissait pas comme imminente. La bonne volonté du pays, celle de la Douma étaient certaines. Par patriotisme, les réformes, les questions de politique intérieure étaient remises à plus tard. Le « bloc progressiste » de la Douma qui, l’extrême droite et l’extrême gauche exceptées (c’est-à-dire deux poignées de représentans) comprenait toute l’assemblée, se bornait à demander, au lieu d’un ministère bureaucratique, des hommes qui, suivant sa formule, eussent « la confiance du pays. » Les constitutionnels-démocrates ou « cadets » avaient eux-mêmes cessé, provisoirement du moins, de revendiquer le ministère responsable devant les Chambres, c’est-à-dire le régime parlementaire pur et simple. Leurs chefs les plus qualifiés étaient disposés à se contenter de quelques satisfactions dans l’ordre des idées constitutionnelles. Et je crus bien, alors, discerner pour ma part que certains d’entre eux, retournant à leur illusion des temps de la première Douma, ne regardaient pas comme impossible de devenir ministres de l’empereur Nicolas II. Par la force des choses, une espèce d’opinion moyenne s’était créée dans le « bloc progressiste, » en vertu de la fusion des élémens radicaux avec les élémens modérés. Un ancien leader de la droite, renommé pour sa véhémence, M. Pourichkiévilch, et qui devait, ces temps derniers, prendre part à l’exécution de Raspoutine ; un « nationaliste » comme le comte Vladimir Bobrinski ; des « octobristes » comme le président Rodzianko et M. Goutchkof, qui auront inscrit leur nom dans les événemens du mois de mars, mais qui seraient chez nous de véritables conservateurs : tous ces hommes, dont nous venons de nommer quelques-uns des plus « représentatifs » assuraient un équilibre à la majorité de la Douma. Qu’une conciliation avec le pouvoir fût désirée par le « bloc progressiste, » c’est ce dont on ne peut douter. Les efforts suprêmes que les chefs libéraux auront faits