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profond. De cette cime, où nous emporte le poète, où n’atteignent pas le cri infernal du carnage et la trombe des obus, mais où la lumière du ciel semble vouloir étreindre et pénétrer la terre montueuse aux mamelles innombrables, il nous est permis d’embrasser le passé d’un seul coup d’œil et peut-être d’entrevoir un coin de l’avenir. Essayons donc de regarder en face le soleil levant de la Vérité que le poète serbe a vue sortir des tombeaux de ses ancêtres et de cueillir avec lui cette fleur merveilleuse de l’Idée, qu’il a vue surgir des champs de bataille et de leurs lacs de sang, mais qui s’épanouit plus lumineusement encore dans cette haute solitude.

Par l’histoire du peuple serbe et de l’âme slave, nous avons vu germer et grandir successivement ces trois idées : la puissance des morts sur les vivans ; la force créatrice de la fraternité d’armes, et l’union organique des peuples dans un haut idéal humain. Nous avons vu ces idées s’engendrer l’une l’autre par une sorte de végétation spontanée, comme on verrait un narcisse se transformer miraculeusement en un double iris et celui-ci se métamorphoser en un arbrisseau de roses multicolores.

Violent contraste, espérance consolatrice ! La dernière idée qui se dégage de la plus sauvage des guerres, qui jaillit, impérieuse, de ce cataclysme où la lutte effrénée des intelligences égale la lutte acharnée des armes, cette idée salvatrice est la révélation d’une fraternité nouvelle des peuples combattant pour le même idéal. En prenant conscience de cet idéal, les nations ont découvert leurs âmes sœurs. Et l’âme de l’Humanité qui, elle aussi, a pris une conscience supérieure de sa puissance, dans ce combat pour la Vérité, et qui déjà respire à pleins poumons après avoir secoué un joug odieux, portera la fleur merveilleuse de cet idéal aux nations non encore affranchies, quand le soleil de la Victoire l’aura couronnée.


EDOUARD SCHURE.