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d’avoir été la première attaquée par les deux empires de proie. De ce fait, elle entra de plain-pied et au premier rang dans la nouvelle fédération spontanée des peuples libres de l’Europe, qui combattent ensemble pour la justice et les droits de tous les autres. Par-là, sa conscience nationale s’est élargie à la conscience européenne. L’héroïsme jusqu’au martyre, la fidélité à la parole donnée, telle fut sa devise. A la plénitude de sa résurrection nationale, accomplie au XIXe siècle, elle devait joindre, au XXe, la couronne rayonnante de la pure humanité, mais, hélas ! au prix de quelles souffrances ! Tout le monde sait avec quelle magnifique énergie elle soutint les deux premiers chocs de l’Autriche, jusqu’à l’étonnante victoire de Kolubara ; comment ensuite la félonie bulgare la livra à l’atroce vengeance des Austro-Allemands jusqu’à l’effroyable exode de tout un peuple à travers les neiges de l’Albanie ; comment enfin le courage indomptable de ce peuple en exil lui valut, avec l’aide des Alliés et surtout de la France, la reconstitution de son armée, la rentrée dans la lutte commune et un commencement de réparation par la reprise de Monastir.

Aujourd’hui nous en sommes arrivés au point le plus aigu et le plus décisif de la lutte mondiale. Aujourd’hui seulement la solidarité de tous les Alliés pour une cause unique, leur pacte indissoluble sous une idée maîtresse s’impose dans toute sa force, avec la nécessité inéluctable et la majesté d’une loi providentielle. La cause de chacun des peuples insurgés contre l’oppression teutonique est devenue celle de tous, et la victoire de tous la condition indispensable du salut de chacun d’eux. Il n’y a plus de liberté possible pour les grandes Puissances sans la libération des petits peuples qu’ils ont mission de défendre. Un seul d’entre eux, livré au joug germanique, les déshonorerait tous et les condamnerait moralement à périr. Pour nous rendre compte du sérieux tragique de la situation où nous nous trouvons, des devoirs sacrés qui nous incombent et de l’espérance invincible qui nous appelle à la lutte suprême, c’est encore un chant serbe qui peut nous servir de clairon et de flambeau. Et cette fois-ci ce n’est plus un gouzlar anonyme qui parle avec le vague instinct des foules, c’est un poète conscient qui prononcera le verbe nouveau en son propre nom et au nom du peuple qu’il représente. C’est Jovan Jovanovitch. Il est vrai que ce poème date déjà d’un certain nombre d’années