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tenaient à leur code d’honneur et comptaient parmi eux des gentilshommes authentiques. On les voyait se rassembler au printemps, « alors que la forêt s’est revêtue de feuilles et la terre d’herbe et de fleurs et que les loups hurlent dans la montagne. » Ils se tenaient tous pour des héros et avaient grand air avec leur culotte bouffante de drap bleu, leur dolman vert, leur plastron argenté et leur bonnet de soie à la houppe retombant gracieusement sur l’épaule. Le long fusil, le grand couteau et les deux pistolets fourrés dans la ceinture ne les quittaient jamais. Ils attaquaient les janissaires, pillaient les marchands musulmans, vengeaient les populations maltraitées par l’officier turc et ses pandours. Ils vivaient en rapports intimes avec les habitans des vallées, qui les cachaient au besoin chez eux. Souvent les Turcs leur donnaient la chasse dans leurs repaires. Alors il fallait se défendre derrière les rochers et les sapins. Beaucoup d’entre eux rejoignaient leurs quartiers d’hiver en automne et reprenaient leur vie normale. Tel qui avait fait le coup de feu pendant six mois redevenait pâtre ou laboureur. Ils étaient généralement gais et fringans. « Combien la vie du haïdouk est belle, dit une cantilène. Il vit au sommet des montagnes, près du ciel et du brillant soleil. Là flottent dans l’air les Vilas des brumes, assises sur des nuages d’or. Là l’homme ne connaît point de maître, et ne craint rien que Dieu. Que la vie du haïdouk est belle ! »

Mais ce ne sont là que les heures ensoleillées d’une vie coupée de sombres aventures. Car il ne s’agit pas toujours de « boire du vin frais dans la verte forêt où il y a cerfs et biches. » C’est une rude existence de privations et de périls incessans. Si l’on est pris par les Turcs, elle finit par des tortures affreuses, pires que la mort. Un chef de haïdouks dit à ses recrues que, pour braver les supplices qui les attendent, il leur faudra un courage pareil à celui d’un bélier écorché vif qu’on lancerait dans un buisson d’épines. Il n’en veut pas à ceux qui ne pourraient pas supporter ces horreurs sans crier, mais il les prie de rentrer chez eux. Car il s’agit avant tout de soutenir l’honneur des haïdouks. Pourtant le ton général de ces chansons est joyeux, gaillard et d’une crânerie parfois ironique. Les haïdouks nous montrent l’âme nationale, encore instinctive et à demi consciente, éparpillée en une foule de révoltes individuelles. Mais le moment devait venir, où, sous le coup de