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cents ouvriers sans pouvoir poser les fondations et moins encore sans pouvoir élever les murailles. La Vila renversait la nuit tout ce qu’ils avaient élevé le jour.

Au commencement de la quatrième année, la Vila cria du haut de la montagne : — Roi Voukachine, ne te tourmente pas et ne consume pas tes richesses, à moins de trouver Stoïa et Stoïan, le vrai frère et la vraie sœur, et de les murer dans les fondations. Celles-ci pourront ainsi se soutenir, et il te sera donné de bâtir la ville.


Le roi Voukachine fait faire des recherches partout. Il veut acheter à prix d’or le couple merveilleux. Mais on ne trouve nulle part ces exemplaires d’humanité parfaite, le vrai frère et la vraie sœur. Alors la Vila propose un autre moyen. Qu’on emmure dans les fondations l’une des épouses des trois frères, celle qui apportera demain le repas aux ouvriers, et l’on pourra bâtir la ville. Les trois frères se jurent de cacher le secret terrible à leurs femmes et de s’en remettre au hasard pour décider laquelle subira le destin fatal. Artificieusement les deux belles-sœurs persuadent à la femme de l’intègre Goïko, qui a tenu son serment, de faire la course à leur place. L’innocente épouse tombe dans le piège sans se douter de rien. Ainsi la meilleure, la femme du pur, la plus aimante et la plus aimée, devient la victime propitiatoire.,


Les deux beaux-frères de Goïko s’emparent de leur belle-sœur, la prennent par ses blanches mains et la font emmurer dans la forteresse.

La svelte femme souriait, croyant que c’était un jeu.

Les ouvriers maçonnèrent jusqu’à la hauteur du genou. Elle souriait toujours.

Quand ils vinrent à la hauteur de la ceinture, pierre et bois commençant à la serrer, elle comprit le malheur qui l’attendait. Avec un gémissement amer, pareil au sifflement du serpent, elle se mit à implorer ses beaux-frères : — Si vous croyez en Dieu, ne me faites point, jeune comme je suis, enfermer dans ce mur.

Mais ses prières sont vaines, car ses beaux-frères ne la regardaient même pas.

Alors elle s’adressa à l’architecte : — Mon frère en Dieu, laisse une ouverture devant ma poitrine, et par-là tire mes blanches mamelles, afin que puisse s’y allaiter mon petit Yova.

L’infortunée implore encore une fois l’architecte : — Laisse une ouverture devant mes yeux, afin que je puisse voir jusqu’à ma blanche maison, quand on m’apportera Yova et qu’on le remportera.