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disparaissait, comme un cygne blanc, dans un vol de sombres nuages au-dessus des bois.


Alors, s’adressant à son cheval fidèle, Marko éperdu çlama : « Malheur, Charatz, toi mon aile droite, atteins Ravijojla la Vila, et je te ferai poser des fers d’argent, des fers d’argent pur et d’or fondu. Je te couvrirai de soie jusqu’aux genoux avec des glands qui pendent des genoux aux sabots. Je mêlerai de l’or à ta crinière et je l’ornerai de perles menues, pourvu que j’atteigne la Vila qui m’a pris mon frère d’âme. Car il faut qu’elle me le guérisse, il faut qu’elle me le réveille avec les simples et les baumes de la forêt. Que je sois maudit à jamais si je ne puis pas la saisir ! Il faut que je la dompte et que je la terrasse… »

Il se jette sur le dos de Charatz et tous deux s’élancent à travers le Mirotch. La Vila s’enfuit vers le sommet de la montagne, et le cheval galope sans voir ni entendre. La Vila paraît et disparaît comme un éclair dans les branchages. Dès que le cheval l’aperçoit, il bondit dans l’air de trois longueurs de lance, puis de quatre encore. En vain Marko jette après elle sa masse d’or. La Vila fuit toujours.


Les voici enfin sur le sommet de neige. Tout d’un coup, cheval et cavalier s’arrêtent aveuglés d’une lumière éclatante. La Vila se dresse devant eux dans sa gloire, grande comme une déesse. Sur sa couronne d’or brille un globe surmonté d’une croix. Sous les rayons de sa face, Marko tombe à genoux comme foudroyé, et le bon Charatz lui-même plie les genoux et baisse la tête. Calme et majestueuse, la Vila parle au puissant héros de la Serbie :

— Tu pourras longtemps encore faire bondir ton cheval et jeter ta masse d’or après moi, ô Marko, fils de roi, mais tu ne pourras ni m’atteindre, ni me blesser. Tu capterais plutôt l’air et le feu que de saisir la Vila. Je t’avais donné un frère d’armes, mais tu n’as pas su le garder. Tu lui as défendu de m’aimer ; tu l’aimais pour toi seul, non pour lui-même. Je l’ai effleuré de mes lèvres et touché de ma main, afin de rendre son âme à ses ancêtres. C’est auprès d’eux que tu le retrouveras. Le jour seulement où tous les Serbes seront des frères d’âme, vous aurez la victoire. Toi Marko, tu seras fort et redoutable, mais tu seras triste, car tu n’auras plus de frère d’âme. Tu auras le rire à la bouche, et le chagrin dans la poitrine. Tu seras riche et puissant, mais tu seras solitaire et malheureux dans tes pensées, car tu serviras le Turc. Tu feras trembler les autres, mais ton