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d’adresse qu’elle devint l’effroi de ses ennemis. Il s’acheta ensuite un poulain tacheté de blanc et de noir qu’il éleva lui-même avec un soin minutieux et une tendresse ineffable. Ce cheval, qu’il appela Charatz (cheval pie), devint son compagnon inséparable et son meilleur ami. Quand il avait bien couru et bien combattu, Marko lui faisait boire du vin rouge dans sa coupe d’or comme à un frère d’armes. Charatz s’entretenait avec Marko comme un écuyer fidèle avec son maître.

Il flairait les ennemis à distance et avertissait son maître de leur approche en dressant ses oreilles. Après une victoire de Marko, Charatz hennissait de joie ; mais quand Marko était blessé, Charatz baissait la tête et versait des larmes, puis il léchait la blessure pour le guérir. Avec sa massue, son sabre et son cheval impétueux, Marko se croyait le maître du monde. ; Car déjà il sentait battre dans sa poitrine un cœur indomptable et insatiable. Un jour, il dit à sa mère : « Je ne veux être ni roi ni tsar, mais je serai le premier chevalier du monde. Quant à un frère d’armes, je n’en prendrai un que si je trouve mon égal, et j’ai bien peur que cela n’arrive jamais. — Dieu nous ordonne d’aimer tous les hommes, dit la mère. — Je prie Dieu dans les églises à deux genoux, mais sur le champ de bataille je défie tout le monde, répondit Marko. — Prends garde, mon fils, reprit gravement Euphrosine, prends garde que l’Ange du Seigneur qui veille sur toi ne détourne sa face de ton orgueil, Le destin nous guette tous, et, si personne ne te dompte, Dieu te domptera. »

Or, il advint, en ce temps, qu’Ourosch, le fils de Lazare, âgé de douze ans, devait être proclamé tsar. Mais trois puissans seigneurs se disputaient la couronne : le kral Voukachine (père de Marko), le despote Ougliecha et le voïvode Goïko (ses oncles). Ces potentats envoyèrent un message à l’archiprêtre de Samodrèje en lui commandant de désigner celui qui serait le tsar. Mais le prêtre se récusa, alléguant qu’il ignorait la volonté dernière du monarque défunt et que celui-ci l’avait confiée à son page Marko, peu avant sa mort. « Consultez Marko, ajouta le protopope. Il fera connaître la vérité, car Marko n’a peur de personne et ne craint que le vrai Dieu. » Marko, mis en demeure de se prononcer sur la succession au trône, consulta sa mère. Celle-ci lui dit : « Mon seul fils ! Que maudit soit le lait dont je t’ai nourri, si tu témoignes faussement, fût-ce pour ton père ou