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ROUEN PENDANT LA GUERRE.

Voici sortir de terre, à droite, la maçonnerie de tours imposantes. Ce sont les « Hauts Fourneaux de Rouen, » établis sur la ferme historique du Grand-Aulnay qu’en 1195 Richard Cœur de Lion avait donnée à l’Hôtel-Dieu de la ville. Ces Hauts Fourneaux, construits par un consortium exclusivement français de métallurgistes, devaient recevoir le coke de Lens, et le minerai, du bassin de Briey. Ces conditions s’étaient posées un an avant la guerre. Depuis, malgré les difficultés, la gigantesque usine s’achève. Raffineries de pétrole, dépôt d’huiles minérales le plus important de France, aciéries, fabriques de produits chimiques, fabrique de pâte de cellulose pour le papier, fabrique de papier, nombreuses usines de munitions, et d’ici peu chantiers nouveaux de construction navale, voilà l’activité industrielle d’une cité qui, jusqu’à ces derniers temps, s’était spécialisée dans l’industrie textile. Si l’importation de l’année dernière a dépassé 9 millions de tonnes, et si 1917 doit atteindre, comme on s’y attend, 10 millions, cette industrie florissante promet pour l’exportation, si nécessaire à notre porte-monnaie national, un chiffre des plus intéressans.

La ville qui, en pleine guerre, malgré ses deuils, ses souffrances intimes, a réalisé ces transformations, contribué à un tel degré à l’entretien de la vie nationale, travaillé avec tant d’énergie à la défense de la patrie et préparé les prospérités de l’après-guerre par une méthode simple et vivante que les Allemands pourraient nous envier, je crois, méritait bien quelque curiosité. L’accroissement de son trafic et les bénéfices qu’elle en a retirés ont directement servi au soulagement des misères de la guerre, car il n’existe pas de ville où l’on ait donné plus d’argent pour les blessés, pour les réfugiés, pour les orphelins, pour nos frères belges. Cette générosité de la noble cité marchande achève de lui donner grand air. La vaste palpitation de son activité commerciale est doublement bienfaisante, puisqu’elle répand la vie dans la patrie et compense dans la mesure de ses moyens les dommages causés par le grand fléau. Rouen a bien des raisons d’en concevoir quelque orgueil, comme il possède le droit de claironner avant le temps la Victoire.


COLETTE YVER.