Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 38.djvu/820

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
816
REVUE DES DEUX MONDES.

Et le Conseil municipal, voulant honorer le petit royaume dont le nom symbolisera désormais la fidélité à la foi jurée, débaptisa le plus opulent de ses boulevards et l’appela le « Boulevard des Belges. » Désormais le promeneur qui, sortant de la nacelle du pont transbordeur, veut pénétrer dans la ville, et s’y engage droit devant lui par cette large voie en pente douce où règne, en des maisons de style noble et glacial, le commerce du coton, où l’hôtel de la Préfecture pompeux et lointain derrière ses grilles de fer forgé met une atmosphère officielle, imagine en cheminant ces heures exaltantes durant lesquelles Rouen, les mains tendues et les bras ouverts, accueillit le peuple martyr non pas en charité, mais en triomphe.

Actuellement, Rouen et les environs abritent une colonie belge importante. Les listes des allocataires qui reçoivent le secours journalier sont de 4 078 pour les adultes, et 2 029 pour les enfans. Voilà déjà 6 107 personnes indigentes. Mais il faut y adjoindre tous les ouvriers belges qui, ayant trouvé dans la ville un métier rémunérateur et touchant de forts salaires, ne reçoivent pas l’allocation. Puis toutes les familles aisées qui ont cherché dans Rouen un refuge agréable. On peut donc évaluer à 9 000 ou 10 000 personnes le contingent rouennais de nos alliés belges en France. Jusqu’aux dernières lois militaires, le nombre en était encore plus grand.

Plusieurs écoles où l’on enseigne concurremment le flamand et le français ont été établies dans la ville, pour que l’instruction nationale des petits enfans se poursuive normalement. La colonie flamande bruyante et gaie met au besoin dans la rue, dans les tramways une note pittoresque. Ces braves gens supportent vaillamment la détresse de l’exil. La municipalité, le clergé, beaucoup de notables, se sont prodigués, il faut le dire, pour leur en adoucir la rigueur. D’excellens repas à 50 centimes et un travail assuré leur sont fournis à la Permanence belge, rue Saint-Romain.

Sur la colline de Bonsecours qui domine la Seine et d’où le port de Rouen avec ses développemens nouveaux apparaît en panorama, surchargé là-bas, dans la partie maritime, de vapeurs de fort tonnage, ici où la côte tombe en pente abrupte, de chalands et de péniches, l’armée belge possède un de ses plus beaux hôpitaux. Construit sur le plateau, en baraquemens, à la mode anglaise, cet hôpital qui contient quinze cents lits est intéressant