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GASTON DARBOUX.

entendus, moins cependant qu’il ne l’aurait voulu. En travaillant de toute son énergie à secourir de nobles et quelquefois glorieuses infortunes, Darboux a montré que le cœur chez lui était à la hauteur de l’intelligence.

Lagrange vieillissant, à ce que raconte Delambre, avait perdu le goût des mathématiques, et son enthousiasme s’était éteint. Darboux fut plus heureux. Les fatigues de l’âge et les souffrances d’une maladie qui le minait depuis quelques années ne ralentissaient pas son activité intellectuelle ; sa belle intelligence garda jusqu’à la fin toute sa vivacité. L’année dernière, il avait fait son cours à la Sorbonne sur les principes de la géométrie analytique, et il l’avait complètement rédigé. Ce livre, qui va paraître, sera le dernier sorti de sa plume. Son but essentiel est de préciser la place que doivent prendre en géométrie les notions relatives à l’imaginaire et à l’infini ; c’est un ouvrage d’enseignement, mais où se reconnaît le maître ouvrier. Darboux avait encore d’autres plans de travaux. Il voulait écrire un livre sur le problème célèbre qui a donné naissance à la géométrie infinitésimale, celui des cartes géographiques ; tout à la fois, l’élégance et l’importance pratique de ce problème le séduisaient, et il en avait fait une étude approfondie dans son enseignement. Puissent les notes de ses cours permettre de le reconstituer !

Nous espérions revoir bientôt Darboux parmi nous, et profiter encore de ses conseils et de son expérience. L’opération, qu’il avait différée d’année en année, lui fut fatale, et le 23 février l’illustre savant s’éteignait presque subitement. Il disparait après avoir dignement rempli sa tâche. Son œuvre si parfaite laissera dans la science une trace durable.

Émile Picard.