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à le connaître et à apprécier sa parole claire et élégante. Ce n’est pas que certains points de son enseignement n’aient été, pour mes camarades et moi, l’occasion de grandes perplexités. En même temps que le cours de Darboux à la Sorbonne, nous suivions à l’École les conférences d’un savant éminent, Briot, qui, en collaboration avec Bouquet, a signé des mémoires justement renommés. Il y a bien des manières d’exposer les principes de la mécanique ; Briot envisageait d’abord la force au point de vue statique, tandis que Darboux débutait par la définition dynamique. Sur cette question de principes, il nous fallait oublier à l’École ce qu’on nous avait dit à la Sorbonne, cela a été notre première leçon de philosophie des sciences. Aux élèves de la section de mathématiques en troisième année, Darboux faisait des leçons d’algèbre et de géométrie analytique, passant avec un art consommé d’une théorie à une autre ; dans ces causeries familières, il donnait toute sa mesure comme professeur. À la fin de 1880, il quittait l’École pour devenir titulaire de la chaire de géométrie supérieure à la Sorbonne.

On peut distinguer le plus souvent chez les mathématiciens deux tendances d’esprit différentes. Les uns se préoccupent principalement d’élargir le champ des notions connues ; sans se soucier toujours des difficultés qu’ils laissent derrière eux, ils recherchent de nouveaux sujets d’études. Les autres préfèrent rester, pour l’approfondir davantage, dans le domaine des notions mieux élaborées ; ils veulent en épuiser les conséquences, et s’efforcent de mettre en évidence dans la solution de chaque question les véritables élémens dont elle dépend. Il suffit souvent aux premiers d’être assurés qu’un problème peut être résolu, et ils laissent à d’autres le soin de le résoudre effectivement. On dirait, en leur appliquant un mot de Fontenelle à propos de Leibnitz, qu’ils se contentent de voir croître dans les jardins d’autrui les plantes dont ils ont fourni les graines, celles-ci étant plus à estimer que les plantes mêmes. Les seconds pensent que les méthodes générales sont faites pour être appliquées et que seules ont du prix les solutions poussées jusqu’à leur dernier terme. Il n’y a pas à établir ici une hiérarchie : l’esprit souffle où il veut. On trouve chez Darboux l’une et l’autre de ces tendances. Les conséquences de