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science étrange et mystérieuse que se représentent tant de gens ; elle est une pièce essentielle dans l’édification de la philosophie naturelle.

Si importantes que soient cependant les relations entre la mathématique et la physique, il s’en faut de beaucoup que leur étude soit le seul objet des méditations des mathématiciens. Le monde des formes et des grandeurs abstraites est peu à peu devenu en lui-même un sujet d’études, avec lequel l’esprit humain a élevé un édifice immense, qui s’accroît chaque jour. Dans cette construction, les exigences logiques sont toujours grandissantes ; ainsi, elles sont beaucoup plus grandes aujourd’hui qu’il y a un siècle. Mais la logique ne suffit pas. Le géomètre n’est pas seulement un logicien, il est aussi un artiste. La finesse lui est aussi nécessaire que l’ordre et la rectitude dans le raisonnement, et sans imagination il n’y a pas d’esprit d’invention. Beauté et simplicité vont d’ailleurs de pair, et on sait que le mot élégance revient souvent sur les lèvres des géomètres.

Depuis le xviie siècle, la France eut une succession ininterrompue de grands mathématiciens. Qu’il suffise de rappeler les noms de deux de nos contemporains disjjarus il y a quelques années : Hermite, dont les admirables travaux sur l’algèbre et la théorie des nombres préserveront à jamais le nom de l’oubli, et Henri Poincaré, d’une incomparable puissance d’invention, qui cultiva avec éclat toutes les parties des sciences physico-mathématiques. Il y a quelques semaines, nous perdions un des plus éminens parmi les maîtres de la science contemporaine, Gaston Darboux. Si abstraite que soit une œuvre, que peuvent seuls comprendre dans ses détails les initiés, je voudrais essayer d’en montrer l’importance, en retrarant sommairement la vie du regretté Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences.


Gaston Darboux naquit à Nîmes le 13 août 1812. Après de bonnes études classiques au lycée de cette ville, il entra en 1859 dans la classe de mathématiques spéciales et fut, après une année, admissible à l’École polytechnique ; mais, ayant le désir très arrêté d’entrer dans l’enseignement, il ne voulut pas subir l’examen du.second degré. Au bout d’une seconde année, il était reçu le premier à l’École normale supérieure et à l’École