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des théories abstraites, ont licence de développer leurs argumens, je me vois dans l’obligation de prendre des précautions infinies pour exposer les miens, dont le tort capital serait de désigner d’une manière précise les objectifs à poursuivre et les moyens qu’il conviendrait d’employer pour les atteindre.

Restons donc dans l’imprécision, puisqu’il le faut et que l’on s’imagine que nous pourrions apprendre quoi que ce soit, sur tous ces points, à nos habiles et savans adversaires.

La caractéristique essentielle, — je reviens à la question qui se posait au début de ce paragraphe, — de la guerre de côtes, c’est qu’elle exige un outillage tout particulier, des types de navires spéciaux et, oserai-je le dire ? de sérieuses réflexions, en même temps qu’une parfaite connaissance du littoral visé ; par conséquent une assez longue préparation, non pas tant au point de vue du matériel, que l’on peut obtenir vite des moyens de production actuels, qu’à celui de la « mentalité » des états-majors, des chefs, des officiers, des équipages, destinés à entreprendre les opérations en question.

Or, lorsque la guerre actuelle a éclaté, aucune des cinq ou six grandes marines du monde n’avait envisagé l’intérêt de cette préparation matérielle et de cette orientation des esprits. Pour la presque totalité des écrivains maritimes et des directeurs des « Ecoles de guerre » ou des « Marine Akademie, » la seule préoccupation sérieuse devait aller à la guerre d’escadres, à la belle « grande bataille » en haute mer, bataille décisive, où le canon régnerait en maître et après laquelle les faibles restes de la flotte vaincue, s’ils réussissaient à regagner leurs bases, seraient réduits à s’y enfermer jusqu’à la fin des hostilités. Les amirautés avaient donné à ces séduisantes théories la consécration de leur autorité et depuis bien longtemps il ne descendait plus des cales de construction navale de bâtimens spécialement étudiés en vue d’opérations de longue haleine sur un littoral, ni, surtout, en vue de l’attaque des batteries de côte protégées à la fois par des engins sous-marins et par l’étendue des « petits fonds » derrière lesquels ces ouvrages se retranchent. L’amiral Jauréguiberry, dont j’ai déjà rappelé ici les décisions au sujet de la mise en chantier de nos canonnières cuirassées d’il y a vingt ans, n’avait pas eu de successeurs.

C’était pourtant là, — mais il eût fallu croire à la possibilité d’opérations côtières ! — l’indication nette de la voie à suivre.