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murmure infiniment doux et profond, tandis que, contre les piliers, les cœurs d’or offerts en ex-voto se mettent à rayonner, comme allumés sous la flamme de l’unanime prière. Et je vois Notre Dame de la Sainte-Espérance resplendir entre deux vitraux ; et puis à chacune des invocations de la litanie le chant, d’abord tout contenu, se renforce et s’accuse :

— Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour eux !

— Saint Michel, patron de la France, priez pour eux !

— Saint Maurice, patron des combattans. priez pour eux !

— Anges saints, tenez-les sous votre garde et priez pour eux !

Après quoi, il y a des instans où le chant s’abaisse, tremble, s’affaiblit, comme s’il se baignait de larmes ; et puis, de nouveau, il se renforce, afin d’appeler sur les chers défenseurs de la France la protection de Dieu :

— Par ta longue passion, par ta solitude et ta désolation, par ton agonie et par ta mort, protège-les, ô Seigneur, préserve-les, ô Seigneur, et sois leur force, et leur courage, et leur tranchée en face de l’ennemi û Seigneur notre Dieu ; et daigne accepter leur sacrifice ! Amen.


Et la prière fut exaucée, dans les profondeurs et au plus haut des cieux.


Les scènes religieuses sont si fréquentes, — et si belles, — dans la Licenza de M. d’Annunzio, que l’on m’excusera de citer encore, par manière de « pendant » à cet émouvant « salut » de Saint-Séverin le soir du 3 septembre 1914, une messe matinale sur le front italien. Le poète guerrier, à son réveil, apprend qu’une brigade momentanément campée dans une ville voisine, à Versa, y va écouter, tout à l’heure, l’allocution d’un « orateur » attitré de l’armée, appartenant à l’ordre des Barnabites, — et qui pourrait bien être ce même éloquent et ardent P. Semeria que notre public parisien a eu, ces jours passés, l’occasion d’entendre… Je voudrais me borner à résumer les préliminaires du récit : mais ces phrases chantantes de M. d’Annunzio sont avec cela, si pleines de couleur et de vie que je ne puis me résigner à y substituer la plate inertie de ma prose :


Je vais donc à Versa. C’est une matinée d’octobre toute limpide, et quasi trempée et fourbie comme une arme neuve. Les routes, avec leur aridité déjà trop sensible, s’apprêtent à redevenir des tourbillons de poussière. Défilé de soldats, défilé de mules, défilé de camions : le tout poussé d’un mouvement insolite. On sent qu’il y a quelque chose dans l’air, que quelque chose de grand se prépare ; et déjà l’on respire une odeur de sang, de la même façon que les narines perçoivent légèrement le fumet du moût à la veille du jour désiré des vendanges.

Arrivé au camp, je cherche aussitôt l’autel. Je le vois qui se dresse au milieu des peupliers jaunis, attaché avec les couvertures de laine brune dont s’enveloppe le sommeil des soldats dans la tranchée. Quelques-unes