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Saint-Séverin. Là encore, la tradition nous affirme que Dante « avait coutume de prier et de méditer, » en ajoutant même qu’il s’était choisi un endroit préféré pour y venir, chaque jour, plier ses genoux. Si bien que voilà M. d’Annunzio, en ce soir tragique du 3 septembre 1914, tâchant à détourner sa pensée et son cœur de la vision de la Bête monstrueuse déjà tapie sinistrement au seuil de Paris, pour ne plus s’occuper tout entier qu’à rechercher, dans notre vénéré « sanctuaire » de Saint-Séverin, le recoin privilégié où venait autrefois s’agenouiller le plus grand, à coup sûr, des hommes de sa race !


La haute nef centrale est éclairée d’une double rangée de fenêtres : mais de part et d’autre les deux nefs latérales, basses comme les voûtes d’un cloître, sont peuplées d’une ombre chaude et brune qui fait penser à la patine précieuse déposée par le temps et par la musique sur le bois vivant d’un violon ancien. Entre des piliers nerveux, j’aperçois une verrière à losanges sans images, pareille à une dalle de glace que des pieds auraient innombrablement fendillée. Plus au-delà, parmi des reflets ensanglantés, je distingue un Jésus en croix percé du coup de lance du soldat romain. Et toutes les chapelles à l’entour s’imprègnent d’un silence animé, sous la garde active d’un saint ou d’une vierge : saint Louis de Gonzague recevant l’hostie des mains de saint Charles Borromée ; saint Georges transperçant le dragon ; saint Séverin appuyé au rebord de son puits et s’entretenant avec Chlodoald… Mais je sens bien qu’en vérité ce n’est point au solitaire rhénan du Moyen Age qu’appartient, désormais, cette forêt de pierre. La Sainte Espérance en habite la partie la plus secrète, ainsi qu’elle a coutume de faire dans nos cœurs humains. Et c’est pour elle que les piliers de pierre dressent et élancent vers l’ogive de la voûte les mêmes palmes qui, jadis, furent agitées en hommage glorieux sur le chemin de Jérusalem !


Mais pendant que M. d’Annunzio, ayant ainsi pris contact avec l’incomparable « forêt de pierre, » s’est remis à chercher le lieu favori des oraisons de Dante, et croit même l’avoir découvert « auprès de cette colonne centrale de l’abside qui se tord avec un mouvement impétueux afin de faire saillir plus haut les feuilles de la palme sainte, » la voix grave d’un orgue s’élève derrière lui. Et le poète, s’étant retourné, découvre que la nef principale s’est remplie d’une foule de fidèles silencieux et immobiles, qui d’ailleurs lui paraissent ne former qu’une seule âme, projetant « vers l’ogive de la voûte » une seule prière.


Et voici qu’en effet une parole surgit :

— O Père céleste qui êtes Dieu, ayez pitié de nos frères !

Et la foule reprend l’humble et fervente parole, la prolonge en un