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nous ont baisé les mains en pleurant, et les enfans sont partis en serrant leur paquet entre leurs petits bras… Il y a eu aujourd’hui, pour tous, un peu de joie et un peu d’oubli…

Janvier 1916. — Nous avons « rencontré » la nouvelle année, à quatre verstes de B…, dans une petite ferme que notre général de division occupe avec son état-major. La soirée, commencée par les prières rituelles, s’est continuée par un dîner fort animé. Les nouvelles sont bonnes, l’ennemi est cloué sur ses positions pour de longs mois et, si quelqu’un avance avant le printemps, ce ne sera pas lui… Après le dîner, chants, balalaïka, souhaits, puis le départ dans la nuit noire, mais que la neige tombée fait blanche sous nos pas…

Le général est venu à B… Il nous apporte des médailles de Saint-Georges, récompense de notre attitude pendant le bombardement de notre hôpital à Slabada. Joie d’enfans ! On s’embrasse, on est ému ; plus ému, ma foi, qu’on ne l’était sous les bombes allemandes ! »


Ainsi parlait la « Sœur de charité du temps de guerre » Nadiejda-lvanovna Rglilskaïa, tandis que les hydroplanes, rasant de près les eaux de la Mer-Noire, vérifiaient la stabilité des mines ; que le bateau-sentinelle veillait, prêt à signaler le moindre périscope à l’horizon ; ou que, du large, le roulement de la canonnade nous annonçait qu’un vaisseau russe donnait la chasse à quelque pirate turc ou allemand…


VERS L’HOPITAL DU GRAND PALAIS CATHERINE (à Tsarskoié-Sélo).

« Madame, sur l’ordre de Sa Majesté l’Impératrice, je viens vous chercher pour vous conduire à l’hôpital du grand palais Catherine, à Tsarskoié-Sélo. »

C’est le général de Bonchêne qui entre dans ma chambre, suivi du docteur Batonieff. Un wagon sanitaire m’attend à Sinféropol, et nous partons après-demain… Les bontés de l’Impératrice, mon séjour à Livadia, le souvenir de mon pays lointain, la pensée de la guerre, tant de choses vues, tant de sentimens éprouvés, tout cela se fond, se résout en une émotion qui m’enivre et m’accable.