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qui forment une petite ville, brillante et animée, lorsque la présence de l’Empereur y amène les officiers caracolant, dans leurs éclatans costumes du temps de paix, sur des chevaux qui rivalisent de beauté et de vitesse. La route qui relie le Palais à ses dépendances est bordée de grands arbres qui font berceau, puis descend en pente douce, entre les vignes impériales, jusqu’à l’aigle d’or qui marque la limite des terres de Livadia. En arrière, sur la montagne, s’étagent les vergers impériaux et, au-delà, on aperçoit la ferme d’où l’on apporte chaque matin le lait et la crème qui font les délices de notre déjeuner, — et de celui des officiers hospitalisés dans les sanatoriums de l’Impératrice. Les employés, civils ou non, sont logés dans les Maisons de la Couronne et gratifiés, chaque automne, d’une certaine quantité de raisins provenant des vignes impériales. Les palais et les terres de Livadia ne sont pas possession particulière du tsar Nicolas II : ils font partie des Apanages de la Couronne et sont la propriété de l’Empereur régnant.

De l’ancien Svitsky Dom, on descend au Palais, tout proche, par un sentier sablé, entre des massifs d’arbres. C’est le printemps, gloire et splendeur de Livadia. Fleurs lie-de-vin des arbres de Judée, grappes d’or du Zoloto i diéréva (l’arbre d’or) » tendres pétales des milliers et des milliers de roses y remplissent leur fonction divine qui est d’embaumer et d’embellir. A mi-chemin, une fontaine de marbre, à inscription coranique, découpe un éclatant rectangle sur la sombre verdure d’un bouquet de cyprès. Mais, depuis la guerre, sa chanson se tait. De même se taisent les cloches, apparentes et presque à portée de la main, du petit clocher qui avoisine l’église blanche, dominée par la croix d’or enchaînée. Seuls résonnent, autour du Palais à l’architecture italienne, les pas des sentinelles qui y montent leur garde nuit et jour.

La nuit est venue, saturée de parfums et criblée d’étoiles. Je suis allée m’asseoir sur la longue terrasse à balustres du Nouveau Svitsky Dom, face à la mer. La lune a commencé son ascension silencieuse. Pas une âme sur les terrasses, pas une voile sur les eaux. Ici, comme partout, la guerre a mis son empreinte. Seulement, tandis que dans les villes, parmi les ouvriers, sur le front, parmi les combattans, elle a centuplé l’activité, le mouvement et le bruit, ici elle a fait la solitude et créé le silence. Et voici que je revis le passé, tel que l’ont