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creux desquelles s’attarde la paresse heureuse des convalescens.

Près du jet d’eau, dans un lit blanc, un blessé fait la dinette, servi par une Sœur blanche, debout près de lui.

La fée qui présida aux destinées d’Eupatoria lui a départi trois dons : une plage, à laquelle on ne peut comparer que celle de notre Royan ; un soleil, qui est un thérapeute sans rival ; un lac de boue, piscine naturelle des rhumatisans. Ces précieux élémens curatifs ont été ingénieusement utilisés au Sanatorium impérial. La maison s’élève à cent mètres environ de la plage et, du matin au soir, un va-et-vient de cannes et de béquilles s’établit sur la partie du boulevard qui y conduit. A l’heure où j’y arrive, une vingtaine de blessés y rissolent au soleil, couchés dans le sable ou assis en brochettes, jambes pendantes le long de l’estacade. Non loin d’eux dans la mer peu profonde, s’ébat une troupe rieuse de petits êtres au corps nu et bronzé, pareils à de jeunes dieux marins.

— A quoi pensez-vous pendant vos longues siestes sur la plage ?

Le soldat interrogé a levé vers moi des yeux où se reflète toute l’ingénuité d’âme de sa race éternellement naïve et confiante :

— Des fois à rien ; on regarde, comme ça, la mer. D’autres fois, on pense à la guerre, aux camarades, qui sont restés là-bas ; mais, le plus souvent, c’est à l’isba qu’on revient, aux travaux pour lesquels peut-être les vieux ne suffiront pas, aux enfans qui doivent être grands depuis si longtemps qu’on est parti.

Rien ne réussit à les retenir tout à fait. Fût-il pauvre et désolé, c’est toujours leur coin de terre qu’ils revoient à travers les mirages du ciel et de la mer. Cependant, aucune impatience d’y revenir. Ne faut-il pas d’abord libérer la terre russe ? Leur obéissance passive, dont on a tant parlé, s’éclaire de la compréhension très nette du devoir. Ce ne sera pas un des moindres bénéfices de cette guerre que d’avoir transformé la psychologie du paysan russe et ouvert dans son cerveau une large trouée de lumière.

— Venez voir nos bains de soleil ! me dit la générale Douchkine, à mon retour au sanatorium.

Dans le fond du jardin, à un endroit plus découvert, s’élève une ligne de bâtimens composés d’un simple rez-de-chaussée,