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le jeune officier dirigeait les feux avec un courage superbe. Le brouillard s’étant dissipé, le soleil d’une merveilleuse matinée d’été, adorablement pure, brillait au-dessus des montagnes vertes, dans l’azur du ciel exempt de nuages. Sur l’herbe et sur la mousse flottait l’ombre légère des sapins. C’était une de ces heures radieuses qui semblent faites pour la victoire. Une salve d’artillerie, annonçant par ses coups secs et précis la présence, toute proche, d’une batterie de 75, balaya la grande prairie d’Hellieule, anéantissant par ses rafales les élémens ennemis qui venaient par la gauche. Ayant aperçu des outils de terrassier, le sous-lieutenant Allier fit faire une tranchée. Il prit lui-même une pelle et commença le travail. Le sol était dur, plein de cailloux. Protégés par cette tranchée, les chasseurs tiraient sans discontinuer. Deux, ou trois fantassins du 99e les ravitaillèrent en cartouches. À un certain moment, leurs fusils devinrent intenables, tant ils étaient chauds. Animés par un chef qui d’ailleurs avait fait comprendre très clairement qu’il n’admettait aucune velléité de retraite ni aucune tentation de défaillance, rivalisant de prouesse, insoucieux du danger, les défenseurs du passage à niveau faisaient des ravages dans les rangs des Allemands. Ceux-ci, ébranlés par cette farouche résistance, ne se doutaient pas qu’ils avaient affaire à un si petit nombre de braves gens. Déjà, l’avant-veille, un adjudant de la 10e compagnie du 51e bataillon, nommé Callendrier, ayant eu le malheur de tomber entre leurs mains, fut presque martyrisé par des officiers allemands qui allèrent jusqu’à lui mettre le revolver sur la tempe, le questionnant vainement pour savoir où était le bataillon, et combien il pouvait compter encore d’hommes en état de faire campagne. Pour en finir, et croyant avoir devant eux un gros effectif, alors qu’ils avaient affaire à quinze hommes dont plusieurs étaient déjà blessés, ils mirent en mouvement plusieurs colonnes qui s’avancèrent par la gare. Leur nombre augmentait toujours. Averti par un de ses signaleurs, le sous-lieutenant Allier sortit de sa poche une feuille de papier, sur laquelle il traça, d’une main ferme, quelques mots au crayon. Quand il eut fini d’écrire ce billet, il commanda :

— Un chasseur !

Le caporal Chaumont, débouta côté de lui, s’avance

— Tenez, Chaumont, lisez…

Il ajoute :