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avancerez jusqu’à la voie ferrée, face la gare ; vous vous installerez au passage à niveau ; si vous n’êtes pas attaqué, vous avancerez jusqu’à ce que vous ayez le contact avec l’ennemi. Vous me rendrez compte de tout ce que vous apercevrez. Dans n’importe quel cas, vous défendrez le passage à niveau jusqu’au bout…

Le commandant Gay insista :

— Jusqu’au dernier homme.

L’action du 29 août 1914 n’aurait pas pu s’engager, et les Allemands eussent trouvé l’issue qu’ils cherchaient pour déboucher sur la route de Bruyères, si cette défense héroïque du passage à niveau n’eût opposé à leur marche, pendant des heures décisives, un obstacle invincible.

Cette journée fut atroce. Exaspérés par une résistance à laquelle ils ne s’attendaient pas, les Allemands ont commis, ce jour-là, les pires cruautés, fusillant les prisonniers, achevant les blessés, mettant le feu partout, assouvissant sur les choses et sur les gens leur rage forcenée.

La maison Villemin, aux Tiges, porte encore la trace des crimes qu’ils ont commis en fusillant, à bout portant, des hommes désarmés.

Dans la cuisine de cette maison s’étaient réfugiés une trentaine de soldats du 99e régiment d’infanterie. La section dont ils faisaient partie avait d’abord été disposée en lignes de tirailleurs sur le talus du chemin de fer et surveillait les prairies, lorsque l’ennemi survint à l’improviste, du côté opposé. A peine se sont-ils repliés dans la maison Villemin, qu’ils y sont cernés sous le feu des mitrailleuses qui coupent la route, entourant la maison de tous côtés. N’ayant point d’officier parmi eux pour organiser la défense, ces malheureux fantassins, privés d’un chef, se résignent à se rendre. Par un long et étroit couloir qui débouche sur la cour de la maison, l’un d’eux s’avance vers l’ennemi, agite un linge blanc. Les autres le suivent, à la queue-leu-leu. Un lieutenant allemand les fait défiler un à un, leur ordonnant de quitter leur équipement et de mettre bas les armes. La route est pleine d’Allemands, coiffés du casque à pointe avec manchon de toile grise. Tout à coup, un cri d’effroi retentit : « On les fusille ! » En effet, le soldat Palayer, du 99e, arrivé au seuil de la porte, a vu ses camarades, ceux qui venaient immédiatement avant lui, alignés contre le mur de la