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devaient parvenir douloureusement au point culminant du calvaire dont ils avaient gravi les premières stations. Ce fut une de ces luttes inégales où la fatalité aveugle et sourde s’acharne sur les meilleurs parce qu’ils sont les moins nombreux. C’est sur une poignée de braves qu’allait retomber, pendant une journée entière, tout le poids de la défense suprême de la ville en détresse. Dès l’avant-veille, les formations sanitaires de Saint-Dié avaient reçu l’ordre d’évacuer les ambulances et de se retirer du côté d’Epinal. Après cette évacuation précipitée, un arrivage de blessés sans abri mit le comble à la confusion. Quelques-uns mouraient en pleine rue, les brancardiers ne pouvant suffire à les transporter jusqu’à l’hôpital Saint-Charles, à l’hôpital n° 7 de la Société de secours aux blessés militaires, au Grand-Séminaire, refuges restés ouverts en ces jours d’angoisse et de deuil. Le bombardement avait ravagé la pauvre ville qui, privée de communications télégraphiques et postales avec le reste de la France, sentait se resserrer autour d’elle un cercle de fer et de feu. Les rues de Saint-Dié s’encombraient d’une multitude de fugitifs, accourus de tous les villages d’alentour, et que l’instinct grégaire des foules affolées amassait çà et là en troupeaux divagans. La bataille avait dispersé la population civile, refoulée tantôt d’un côté, tantôt de l’autre par le va-et-vient des combattans et par l’entre-croisement des tirs d’infanterie et d’artillerie. Ce jour-là, on se battait tout autour de Saint-Dié : à Saulcy-sur-Meurthe, à Entre-Deux-Eaux, où les brancardiers du 133e régiment d’infanterie, allant au secours des blessés du 23e, reçurent, à bout portant, des coups de fusil tirés par une patrouille bavaroise ; à Coinches et dans la forêt communale de la Béhouille, où deux compagnies du 5e bataillon de chasseurs furent fauchées par l’artillerie allemande ; à Moyenmoutier, à la Neuveville-lès-Raon, où le meurtre, l’incendie, le vol, furent organisés par le général von Deimling en personne ; à Hurbache, à Denipaire, au Ban-de-Sapt… Partout les populations civiles étaient soumises, par ordre, aux plus cruels traitemens.

On juge aisément dans quel état d’esprit se trouvaient les habitans de Saint-Dié, en voyant leur ville emplie de terreur par la débandade des paysans que chassait de leurs communes l’avance incessante de l’invasion. En vain les affiches municipales, collées au mur de la mairie et signées par le maire de