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de Saales et au val de Bourg-Bruche, chemin qui traverse Remomeix, Frapelle, villages avenans, égayés par les eaux claires de la Fave, tout fleuris par des bouquets de peupliers et d’aulnes, tout bruissans de la rumeur laborieuse des filatures et des scieries. Au-delà du gros bourg de Provenchères, — encore occupé par les Allemands à l’heure où paraissent ces lignes, — on monte vers Saales à travers le bois de la Baulée et les hautes futaies du Houssot. Rien de plus superbe ni de plus charmant que ces sapinières, en été, lorsque le soleil, incliné vers l’Occident, allume des clartés obliques à travers les branches incendiées de rayons. Au moment où le soir descend sur les vallées, la forêt, dans le crépuscule, semble enchantée et surnaturelle. C’était un asile fait à souhait pour la contemplation des peintres et pour la rêverie des poètes. Mais le regard du spectateur, même au temps de la paix précaire et troublée qui nous fut imposée par le traité de Francfort, était assombri par une réalité brutale. Les brèches des Vosges étaient des portes ouvertes sur notre territoire, depuis que Bismarck avait savamment dessiné notre frontière de façon à mettre tous nos départemens de l’Est sous le talon de la botte allemande. La ligne de démarcation, à travers le département de la Meurthe et sur les confins des Vosges, suivait en zigzag, a la façon d’un fil de fer barbelé, depuis le dôme du Donon jusqu’à la crête du Ballon d’Alsace, un tracé qui était contraire à tous les principes les plus élémentaires de la géographie physique, et même à toutes les règles du bon sens, mais qui n’était que trop conforme aux ambitions féroces de l’empire germanique et à son perpétuel instinct d’empiétement sur nos marches de l’Est. Par toutes les fractures de la montagne, par toutes les failles de cette frontière machinée comme un traquenard, l’Allemagne était sur nous, chez nous.

Les trois vallées convergentes de la Vezouse, de la Meurthe et de la Mortagne, plus loin la vallée de la Moselle sont des routes naturelles par où les armées d’invasion peuvent pénétrer en France. Les Allemands se proposaient aussi de faire irruption dans notre domaine par le couloir de la Meuse, et de briser, à Verdun, la pierre angulaire de notre système fortifié. Les historiens de nos grandes guerres ont raconté comment, en 1792, le roi de Prusse, le duc de Brunswick, le prince de Hohenlohe et le prince Esterhazy essayèrent de faire entrer en France, par ces multiples voies, leurs innombrables hordes de reitres et de