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publiait son Paris en Amérique ; en ce pays qui fut longtemps ennemi de la réglementation, en ce pays de respect traditionnel de l’Etat pour l’initiative privée s’organise aujourd’hui l’envahissement méthodique de l’Etat dans la gestion des grandes industries. Les capitaines de l’activité nationale sont coupables de s’être enrichis eux-mêmes en enrichissant leur pays.

Lors même que ces « surhommes » privilégiés abandonnent une partie de leur fortune à la collectivité, ces donations généreuses demeurent, aux yeux de certains groupes politiques, suspectes des plus noirs desseins. Les ploutophobes jaloux ne désarment pas devant ces millions qui s’aumônent ; et c’est avec surprise que nous autres Européens avons vu par exemple la « fondation Rockefeller, » connue surtout de ce côté-ci de l’Atlantique par ses larges envois de secours à la population belge, soumise à une inculpation, à une « investigation » judiciaire, devant une Commission fédérale, sous prétexte que cette œuvre philanthropique, dotée par son fondateur d’un capital de cinq cent vingt millions de francs, aurait par ses distributions charitables une trop grande influence sur le marché du travail. On prétendait qu’elle pourrait à l’occasion servir comme d’une « agence à briser les grèves, » — strikebreaking agency.

La haine de tout organisme privé, de toute force individuelle ou collective, indépendante de l’Etat, s’est traduite parfois en motions dont notre vieux continent ne se serait pas avisé : les législateurs de l’Ohio ont édicté une peine de 500 francs d’amende ou de six mois d’emprisonnement contre les patrons qui renverraient un ouvrier pour s’être affilié à un syndicat. Les démocrates du Colorado, prétendant que les journaux remplissent un service public au même titre que les chemins de fer, ont proposé, par voie de référendum, de les soumettre à la même législation, concernant leurs tarifs d’abonnement ou d’annonces. Un bill, voté par le Sénat de cet État, pour prévenir le monopole des agences télégraphiques d’information, analogues à notre Havas français, veut les contraindre, sous peine de 5 000 francs d’amende, à communiquer leurs nouvelles indistinctement à tous les journaux qui en feront la demande, moyennant un tarif légal.

Pour les chemins de fer, le régime des tarifs que l’État